« –C’est quoi cette ligne toute plate sur ton moniteur, un encéphalogramme?
-Non : la loi de Moore version analogicpunk. »
Voilà plus de 40 ans que le pixel art règne en maître dans le jeu vidéo. Par défaut d’abord, quand les machines ne permettaient pas d’autre style graphique, par nostalgie ensuite, quand les enfants des années 70 furent en âge de créer leurs propres jeux, par paresse enfin, car il est quand même plus facile d’aligner des carrés de couleur que de marcher jusqu’à la bibliothèque pour ouvrir un livre d’histoire de l’art.
Ambassadeur du rétro, le pixel-art est le garant d’une continuité confortable dans le jeu vidéo, d’une histoire linéaire du médium. Par sa longévité, il semble nous dire que les joueurs forment une masse homogène, qu’ils ont grandi avec les mêmes jeux et éprouvent tous la même nostalgie. Il n’y a rien de plus faux, en témoigne l’émergence d’ « autres » rétros. Le low poly d’abord, rétro d’après, nostalgique de la Nintendo 64 et de sa 3D anguleuse, l’analogicpunk ensuite, qui, pareil au préraphaélisme, se veut le rétro d’avant le rétro.
L’analogicpunk est la nostalgie de l’électronique analogique (en opposition à l’électronique numérique), de ce temps où le signal vidéo n’existait pas encore et où les images à l’écran n’étaient que l’interprétation de mesures physiques. Le hic, c’est que ce temps là n’a jamais vraiment existé.
La Coleco Tellstar intégrant dès 1972 un microprocesseur, les exemples de jeux vidéo purement analogiques ne sont pas nombreux: on ne pourra citer que le Tennis for Two de William Higinbotham, simulation de tennis jouable sur un oscilloscope développée en 1958, et les 12 jeux de la Magnavox Odyssey, première console de salon et dernière à se passer de puce électronique. Plus qu’un retour en arrière, l’analogicpunk est donc une uchronie que l’on pourrait résumer ainsi : et si les microprocesseurs n’avaient jamais été inventés ? Ce qui lui vaudra, comme c’est désormais l’usage, sa crête de punk.
Sur l’écran, l’analogicpunk est reconnaissable par ses graphismes lumineux, baveux parfois, simulant l’affichage des appareils de mesure analogiques (voltmètres, oscilloscopes…). Les pixels se changent en diodes et les angles deviennent lignes sinusoïdales. Mais l’analogicpunk est plus qu’un style graphique et il peut tout aussi bien s’appliquer au gameplay. On s’appuiera alors sur des axes orthogonaux (Noggins), des variations de fréquence (Sin Car) voire des transformations de Fourier (Frequon Invader) quand côté commandes, on pourra simuler à l’écran des commutateurs et boutons tournants (Synthetizer) ou fabriquer de nouvelles manettes analogiques de toutes pièces (Oho Box).
Les pères fondateurs de l’analogicpunk pourraient bien être ces lycéens de première S qui programmaient des jeux sur leur TI83, mais on préférera retenir Kenta Cho dont le Sin Car sorti en 2011 est une parfaite illustration de ce mouvement, par son esthétique comme par son gameplay.
Fort de son succès, l’analogicpunk a par la suite été suivi par divers autres mouvements rétrofuturistes. On pourra ainsi nommer le Cathodicpunk (et si les écrans plats n’avaient jamais existé?), l’Anaglyphpunk (et si la 3D anaglyphe avait survécu aux années 90?), le Manualpunk (et si les jeux vidéo étaient toujours vendus avec des livrets?), et quand on voit le succès grandissant de jeux vidéo se passant d’écran, on en vient à penser que le Digitalpunk n’est plus bien loin.
Jeux analogicpunk notables :
Ceci est le sixième article de l’OUJEDICO, rubrique s’intéressant à des sous-sous-genres de jeux vidéo, reconnus ou inventés. Son existence a été rendue possible grâce aux dons des lecteurs sur mon Tipeee. S’il vous a plu et que vous désirez en lire d’autres (ou que vous souhaitez simplement soutenir mon travail) vous pouvez donner 1€/mois à l’Oujevipo.
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