The Heart Attack (Browser)
Jordan Magnuson
Avant de poursuivre son projet de Gametrekking en Europe, Jordan Magnuson (The Kindness of Strangers, The Killer…) nous livre un dernier notgame asiatique, sur le Vietnam cette fois, et difficile d’évoquer le Vietnam sans penser à la guerre douloureusement éponyme.
Comme la plupart de ses productions, The Heart Attack n’est pas vraiment un jeu dans le sens étroit où on l’entend, il n’est pourtant pas autre chose non plus. Comme la plupart de ses productions également, The Heart Attack gagne à être joué sans information préalable, de manière à ménager son effet de surprise. Alors commencez le voyage.
D’effet de surprise en réalité, il n’y en a pas vraiment. Dès la première minute de jeu, on peut deviner assez précisément ce que le jeu attendra de nous : maintenir deux rythmes de battements de cœur de plus en plus rapides. On se dit que c’est une bonne idée, et on joue jusqu’au bout juste pour la curiosité du concept.
Défilent alors successivement deux séries de photographies en noir et blanc. L’une d’elle présente la vie d’un américain lambda né dans les années 40, l’autre d’un vietnamien. En soi, ces diaporamas présentent déjà un intérêt majeur : à partir de deux fœtus identiques, on voit se développer deux cultures diamétralement opposées, sans qu’aucun jugement de valeur ne soit prononcé. On trouve autant de sourires des deux côtés.
Ces photos sont magnifiques, elles datent d’un temps où les photographies étaient bien plus précieuses, qu’elles étaient prises dans le but d’être conservée. On peut alors remercier les archives américaines et la communauté Flickr d’avoir permis à Jordan Magnuson de les exhumer.
Puis le rythme s’accélère, les sourires se font plus rare, pour tout dire, ils disparaissent, au profit d’une guerre qui se prépare. La guerre…on l’aurait presque oubliée. On aurait souhaité voir vieillir encore ces archétypes, mais non, leur âge s’arrête définitivement à la vingtaine d’année. La fin ne devrait plus tarder.
Vient alors le moment tant redouté. Je disais qu’il n’y avait pas de surprise : je mentais. Certes, nos prévisions étaient bonnes, et le gameplay est bien tel que nous l’avions imaginé. Mais aurions nous pu imaginer la violente succession de ces images que nous n’avons pas même le temps de regarder ? Aurions nous pu imaginer leur dégradation progressive représentant la dégradation même du moral et de l’espoir de ceux qui y sont représentés ? Aurions nous pu imaginer cet écran tremblant sous les bombes et cette fin inéluctable ? Les deux vies se rejoignent enfin, pour le pire, les diaporamas deviennent simultanés. La proximité des photos de guerres fait écho aux foetus identiques initiaux. Les hommes, aux cultures si différentes, sont indissociables dans la naissance, comme dans la mort, la boucle est tristement bouclée.
Le message est assez clair, pour ne pas dire ultra-simpliste : La guerre, c’est mal, les gens meurent. On pourrait se demander l’intérêt de véhiculer un tel message si généralement acquis, surtout à propos de la guerre du Vietnam. Certes, cela ne peut pas faire de mal, mais Jordan Magnuson n’a-t-il donc rien trouvé de mieux à dire à propos de ce pays ?
Apparemment pas, et c’est peut-être ça qui est le plus effrayant. Sur son site, l’auteur affirme qu’il était bien décidé à ne PAS traiter de la guerre, qu’il voudrait montrer autre chose du pays. Et pourtant, une fois sur place, c’est ce thème qui s’est imposé. Les notgames de Jordan Magnuson n’ont pas pour but de véhiculer un message, d’argumenter, mais d’exprimer le ressenti de l’auteur comme les pages volantes d’un carnet de voyage.
Voilà ce qu’il a ressenti au Vietnam.
manousche
très bon « jeu », le meilleur de la série à mon avis.
Il y a un côté assez flippant à avoir ces deux vies entre nos mains et sentir qu’on perd peu à peu le contrôle.
Cyprien
Un très beau concept. C’est décidé, je me penche sur ses autres jeu.
admin
Je trouve aussi que c’est le meilleur de la série. Malgré son extrême simplicité, c’est le plus beau, et le plus riche. J’attends de voir ce que donnera le projet Gametrekking une fois Jordan Magnuson en Europe, on peut s’attendre à des choses très très différentes.