Entity

Entity (Browser)
Leaf Thief

 

Analyse d’une expérience vidéo ludique en 5 parties, dans au moins deux sens de ce terme.

 

Première partie.

 

Après avoir testé une dizaine de jeux de la la Ludum Dare 20, et aucun ne m’ayant totalement satisfait pour l’article du jour, j’en arrive à Entity. Séduit par le pixel art de la capture d’écran, je me dis que peut-être celui là sera le bon. Pour tout dire, je m’attends à un visual novel, peut être à cause du style graphique qui me rappelle celui de Bentosmile. Je lance le jeu, et débouche sur un intéressant tutoriel graphique qui redouble mon attention. On se déplace avec les flèches directionnelles, on créé une aura (?) avec X, on collecte des trucs, on en évite d’autres…Finalement, il semble qu’Entity se rapproche plutôt d’un jeu de plateforme. Allez, assez spéculé, je me lance.

Je m’étais encore fourvoyé : le gameplay d’Entity se rapproche plutôt d’un beat’em up. On se déplace de droite à gauche sur un écran horizontal, mais aussi en profondeur. Seulement, il ne s’agit pas de combattre qui que ce soit, mes adversaires, des espèces de business men en costards cravates, ne semblent pas me vouloir le moindre mal, mon « aura », sorte de tâche verte que je laisse derrière moi, ne semble pas les atteindre non plus. Je ramasse deux de ces rectangles de pixels qui ressemblent grossièrement à des gameboys puis, sans vraiment en comprendre la raison, je perd. « Malheureusement, vous n’avez pas réussi. » me dit-on. Sous cette inscription, trois hommes d’affaire me regardent fixement.

Je n’ai rien compris. Mais les graphismes aux tons gris-bleus que seul le vert de ma tunique éclaire, la musique douce et entêtante, et surtout, le mystère m’ont harponné. J’ai besoin d’un deuxième essai.

 

 

 

Deuxième partie.

 

Je recommence donc du début, non sans avoir cette fois lu les instructions de l’auteur. Ainsi, les objets à collecter sont des photographies. Il est vrai avec le recul qu’ils ressemblent à des polaroids, et on peut « utiliser ces photographies ». Étrangement, cela semble lié au fait de créer une aura. S’ensuit alors une phrase pseudo-philosophique sur les relations sociales qui ne semble être faite que pour se raccrocher au thème « It’s dangerous to go alone, take this. ». Je n’y porte pas beaucoup d’attention.

Cette fois je constate qu’en effet : Aura et photographies sont liées. Quand je crée une aura, une photographie est déduite du compteur en haut à gauche. Reste à savoir à quoi servent ces auras. Au dessus de ma tête, de jeune fille semble t-il, se trouve une jauge (de vie?) qui se vide au fur et à mesure que le temps passe. Et elle se vide vite. En créant une aura, il semble que cette jauge se recharge entièrement. Mieux, ces auras restent sur place, et je peux y retourner à tout moment pour me recharger. En utilisant ce procédé, j’ai vite fait de retrouver les quatre photographies et de passer au niveau supérieur. Cette fois c’est une plage, la même que l’on peut voir dans le tutoriel, mais toujours ces mêmes hommes d’affaire. Étrangement, lorsque je m’approche d’eux, mon énergie (oui c’est ainsi que j’ai décide de l’appeler) est aussi rechargée. Là je commence à perdre pied…n’étaient-ils pas des ennemis que je devais éviter? Alors ce jeu est extrêmement facile! Je prend soin de bien suivre ces individus pour ne pas perdre une miette d’energie. Cela fonctionne quelques secondes, puis, je débouche sur le même écran d’échec. Zut! Qu’ai-je bien pu rater cette fois-ci? En regardant mieux cette écran de game over, je remarque qu’un des hommes d’affaire a un air différent. Pour tout dire, ce n’est pas un homme, mais une femme…et qu’est-ce que c’est ce truc vert qui traîne derrière? Ma tunique? Il n’y avait guère que cela de vert dans le jeu. Alors, cette femme…c’est moi?

 

Troisième partie.

 

Cette fois c’est la bonne, je le sens. Je suis tombé dans tous les pièges d’Entity, plus rien désormais ne peut m’empêcher d’atteindre la victoire…parce que c’est ce que je suis supposé faire, pas vrai?

Je collecte les photos, j’évite les autres individus, je sème mes auras au moment opportun, je parviens au deuxième niveau et renouvelle l’opération. Surprise! Il n’y a que deux niveaux, et extrêmement courts : au moment où je ramasse la dernière photographie, un écran de game over apparaît. Oui, c’est ce qu’il y a marqué, « game over », seulement l’écran n’est pas le même, il est plus rassurant, et rappelle fortement l’écran d’accueil et de tutoriel. Est-ce que j’ai gagné ? Il semble que oui, pourtant… « game over »…je sais bien que ce terme signifie simplement que le jeu est terminé mais tout de même, on a plutôt l’habitude de lire « Congratulation » ou « You’ve made it » en cas de victoire. Faudrait-il y comprendre quelque chose?

En temps normal, je m’arrêterais là, j’ai fini le jeu, qu’espérer de plus? Pourtant, je me relance dans une nouvelle partie.

 

Quatrième partie.

 

Je m’attarde une fois de plus sur le tutoriel. Il est toujours aussi joli, trois cases, semblables à celles d’une bande dessinée pour expliquer les actions de base d’Entity. La troisième case pourtant est particulière, elle ne donne pas une, mais deux informations. Dans le phylactère sont représentés un homme et une photographie, en dessous est indiqué : Danger/Goal. Il y a là une ambiguïté. Doit on comprendre que les hommes sont des dangers et les photographies notre objectif (sans jeu de mot), ou plutôt qu’hommes et photographies sont à la fois dangers et objectifs? Il y aurait ainsi deux fins : celle par les hommes, dans laquelle notre personnage est standardisé, mais entouré, et celle par les photographies dans laquelle elle demeure elle-même, mais seule. La deuxième est plus engageante, plus difficile à atteindre, mais nulle part il n’est précisé qu’il s’agisse de la « bonne » fin.

Il y a autre chose que je n’avais pas remarqué dans ce tutoriel : notre personnage grandit, au fur et à mesure des cases, passant d’une enfant à une jeune fille, tandis que l’autre, le donneur de conseil, s’avachit petit à petit. La différence d’âge, les cheveux blancs et la combinaison verte qu’il arbore ne laisse planer aucun doute : c’est son père, et les conseils qu’il donne ne transforment immédiatement en leçon de vie. Je comprends aussi mieux ce que c’est que cette aura : il s’agit, comme le montre « mon » père, de se créer un petit coin à soi, un petit rond de caillou dans lequel on peut se ressourcer, dans lequel on se sent en sécurité. La simple contemplation d’une photographie chère semble pouvoir faire l’affaire.

Il me semble mieux comprendre le jeu cette fois. Les photographies sont celles d’un temps béni, celles de l’enfance, de l’adolescence, des jours heureux passés au bord de la mer avec son père, de l’époque où l’on était pleinement nous même, et où l’on pouvait bien arborer une tunique verte sans que personne ne s’en offusque.

Le niveau dans lequel on est propulsé est celui d’un âge adulte, où l’on a plus son père pour nous tenir la main, où l’on est seul. Et comme le dit si bien le thème de la Ludum Dare : C’est dangereux d’être seul, c’est difficile, on y perd notre énergie. Tandis qu’en groupe, ha! Tout est tellement plus simple, notre énergie est toujours au maximum, il suffit de se laisser porter, il suffit de suivre.

Seulement voilà, il faut suivre. Ce que vous êtes n’est pas toujours au goût des autres, votre tunique verte les importune, eux qui sont masqués et tout vêtus de gris. Pour finalement vous faire accepter, vous n’aurez d’autre choix que de l’abandonner, et avec elle ce qui vous définit. Vous quittez votre identité pour n’être plus que part d’une entité, et maintenant, c’est le titre qui fait sens. La présentation de l’auteur ne paraît plus non plus si idiote : « Vous pouvez favoriser les relations avec les autres, vous joindre à eux, pour ne pas continuer seule. Vous pouvez aussi essayer de trouver votre propre voie. »

Dans le deuxième niveau, on retrouve l’herbe, la mer, et on quitte la grisaille de la ville. On se rapproche de notre idéal, on a fait la moitié du chemin, mais il y a encore ces clones qui errent autour de vous et tout peut encore basculer. Seules les photos du temps jadis, les auras, jardins secrets que vous cultivez vous permettront de ne pas vous perdre.

Les mots « Game over » me gênent toujours, car tout nous amène, avec le recul, à favoriser cette fin ci. Un coucher de soleil sur la mer, même seul, vaudra toujours plus qu’un attaché-case. Peut-être signifie-t-il que si le jeu est fini, la vie de cette jeune fille de laquelle je me sépare ne l’est pas, et qu’elle devra, seule, continuer à se battre pour affirmer son identité, pour revendiquer sa superbe tunique verte.

 

Cinquième partie.

 

Maintenant, j’arrête de réfléchir, et j’apprécie.

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3 Comments

  1. Pnume

    J’ai remarqué également, à certains moments, que lorsqu’on reste avec trop de personnes différentes, juste avant « You did’nt succeed », la tête de la jeune fille devient semblable à celle des autres businnessmen.

    Une autre solution est « d’utiliser » au maximum deux de ces hommes pour atteindre notre objectif ; soit tu restes dans tes souvenirs et finit le jeu seule, soit tu peux également y parvenir avec quelques interactions sociales, sans toutefois construire quelque chose de durable.

    Sinon avec la troisième case de l’intro, je me doutais d’avance que la fin serait… inhabituelle, mettre « Goal/Danger » est très significatif.

    Et la BO est magnifique de minimalisme, j’en suis un peu coi.

  2. admin

    Tiens donc, je n’avais pas remarqué cette histoire de tête. Cela m’était arrivé mais j’avais l’impression que c’était un bug du jeu, pour un jeu fait en 48 heures j’étais bien en droit de m’attendre à un petit bug. Mais tu as raison, ces bien le masque des autres personnages. Comme quoi, il y en a des choses à voir dans un petit jeu de 5 minutes! (Zut, je devrais ajouter une sixième partie maintenant ^^)

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