Cart Life (Windows)
Richard Hofmeier
Cela fait plus d’une semaine que je voulais vous parler de Cart Life, mais il comportait alors de nombreux bugs. Maintenant que tout est réglé, il etait enfin temps de m’y mettre (notez qu’il subsiste encore quelques bugs). Face à ma page open office, j’ai réalisé que j’avais énormément de choses à dire sur ce chef d’oeuvre, sans avoir la moindre idée de comment agencer mes idées. J’ai donc fait un abécédaire.
A comme Adventure Game Studio.
C’est le moteur par lequel Cart Life a été créé. Un moteur qui permet traditionnellement de créer des point and clicks Lucas Art Style, comme ceux de Ben Chandler par exemple (Eternally us, !, Airwave…). Seulement, Cart Life n’est pas seulement un jeu d’aventure, c’est aussi et surtout un jeu de gestion, c’est aussi et surtout une histoire que l’on écrit.
B comme Bande Originale.
Les musiques de Cart Life ont toute été composées spécialement pour le jeu et sont l’œuvre d’auteurs différents. C’est assez rare dans le jeu indé pour qu’on ait besoin de le souligner. Le seul autre exemple qui me vient à l’esprit est Airwave, là encore de Ben Chandler. Par ailleurs, ces musiques accompagnent parfaitement le jeu, accentuant sa triste mélancolie.
C comme Choix.
Le jeu vous propose d’incarner trois personnages au choix.
Andrus Poder, un immigré ukrainien qui vient tenter sa chance dans cette ville anglo-saxonne et qui a appris l’anglais en traduisant des poèmes. Il ne possède rien d’autre que ses dernières économies, un chat, et sa ration de nicotine, et place tous ses espoirs dans le rachat d’un kiosque à journaux.
Melanie Emberley, femme récemment divorcée à charge d’une fille de 11 ans. Suite à sa séparation, elle a perdu son travail, sa maison, et vit désormais chez sa sœur, dans la maison de leurs parents. Il s’agit pour elle de démarrer une nouvelle vie en ouvrant un commerce de café.
Vinny est le tenancier d’une baraque à bagels. Il doit tenter gagner sa croûte en ces temps difficiles tout en surveillant son addiction à la caféine. Ce personnage ne peut être joué que dans l’édition payante du jeu.
D comme « Don’t become what you hate ».
Ce slogan a été tagué sur le mur d’un hôtel, et il est vraiment très difficile de le rater. D’une part, il prouve le soin apporté aux détails du décor de Cart Life. D’autre part, il donne au joueur un conseil important : Ne devenez pas ce que vous haissez. En effet, de tous les malheurs qui peuvent vous arriver dans Cart Life, le pire est de ne plus se reconnaître dans le miroir, avoir honte de soi parce qu’on a laissé son chat mourir de faim, parce qu’on a oublié de prendre sa fille à l’école, parce qu’on a refusé 1 dollar à un étranger encore plus dans le besoin. L’amour propre, c’est tout ce qu’il nous reste.
E comme Empathie.
La force de Cart Life est de vouloir nous faire ressentir le plus justement possible les malheurs des personnages. De fait, l’empathie est une constante du jeu vidéo, mais rarement elle n’a été aussi poussée. Quand notre personnage a faim, nous avons faim, car il s’acharne à nous le rappeler trop régulièrement, quand notre personnage travaille, c’est nous qui effectuons les basses oeuvres, quand Andrus, le fumeur, tousse, l’écran tremble et les enceintes grésillent, nous obligeant à attendre la fin de sa quinte. Vice versa, quand le joueur en a assez, et décide d’arrêter de jouer…il est aisé d’imaginer que son personnage lui aussi en ait assez, et baisse finalement les bras
F comme Forum.
Bien que de nombreux bugs aient été corrigés, Cart Life n’est pas encore à 100% opérationnel, et il se peut que quelques problèmes apparaissent. Pour y pallier, il existe un forum Cart Life Basilica, dans lequel tout le monde est amené à signaler les bugs rencontrés. Il est aussi un espace d’échange avec les autres joueurs, pour discuter du jeu et s’échanger des techniques.
G comme Goodies.
En achetant la Deluxe-O-Edition du jeu vous aurez la possibilité d’incarner le troisième personnage : Vinny. Mais vous seront aussi offert de nombreux goodies : Guide d’utilisation, Bande originale du jeu, jeu bonus (Lawn Defender), livres du jeu imprimés en mini-format, artwork d’un personnage signé par l’auteur, une boite cylindrique de tabac aux imprimés Cart Life qui contient toutes ces petites choses.
H comme Humain.
Voilà, c’est ça, Cart Life est un jeu profondément humain. Il est une simulation d’humanité à petite échelle. Chacun à ses qualités, mais aussi ses défauts : Vinny est caféinomane, Andrus un fumeur invétéré…Mais l’humanité, elle se retrouve surtout dans les petits gestes du quotidien : Offrir un journal gratuit à qui nous a rendu un menu service plus tôt, faire un brin de jasette avec l’épicier, caresser son chat sans que cela n’ait aucun impact sur le jeu…juste pour le plaisir de donner de l’amour à un être de pixel. A côté des divers personnages de Cart Life, les « Sims » sont des robots sans âmes qui n’ont pour seules valeurs que le confort et l’ambition.
I comme immensité.
Pour un jeu d’aventure, la ville de Georgetown n’est pas si grande, on pourrait en faire le tour en quelques heures, bien qu’il y ait de nombreux détails à découvrir et plus encore de discussions à engager. Mais pour un jeu d’aventure/gestion dans lequel votre temps est compté et qui vous oblige à passer la majeure partie de celui ci sur votre stand, Georgetown est IMMENSE. J’ai du déjà passer plus de 10 heures sur Cart Life depuis sa sortie, et il y a des quartiers, des bâtiments que je n’ai encore jamais visité. Pourquoi ? Pas le temps tout simplement, et pas de raison valable pour perdre une journée de travail. Cart Life joue par conséquent sur notre frustration, celle de ne pas pouvoir aller où bon nous semble quand bon nous semble, mais c’est aussi un excellent moyen d’allonger la durée du jeu. Après des journées passées sur Cart Life, il y a encore beaucoup à découvrir. Il y a même des trains qui pour la modique somme de 200$ vous emmènent vers d’autres villes. Y a-t-il vraiment d’autres contrée à découvrir ? Je n’ai pas encore eu le courage d’essayer.
J comme Jour.
Comme beaucoup de jeux de simulation, Cart Life suit un rythme alterné de jours et de nuit. Le jour est dédié au travail, et la nuit au sommeil. Mais il sera toujours possible de bafouer ces règles, et si le joueur décide de travailler de nuit, rien ne l’en empêchera pourvu qu’il ait encore assez d’énergie. Mais les jours s’inscrivent aussi en cycles réguliers de semaine, et il faudra penser, le lundi à payer son loyer, le vendredi, à renouveler son bail commercial, le dimanche, à prendre la journée pour sa fille…Les jours ne sont pas interchangeables, chacun à ses spécificités, ses magasins ouverts/fermés, ses habitués. Ne pas tenir à jour son calendrier, c’est foncer droit dans le mur.
K comme Ken Loach.
D’une certaine manière Cart Life pourra rappeler le travail de ce cinéaste. Une œuvre lourde, pénible et psychologiquement épuisante, mais à la fois une œuvre brillante, qui porte une réflexion sur la société, et en particulier sur ses classes sociales les plus basses.
L comme Labeur.
Une des perles de gameplay de Cart Life se retrouve sur le lieu de travail de chacun des personnages. le joueur devra taper correctement des phrases et le plus vite possible pour bien servir ses clients, il devra calculer lui-même la monnaie rendue et gerer ses matières premières. Ces éléments rendent le travail répétitif, harassant, aliénant, tel qu’il est ressenti par les personnages. Tandis que la plupart des jeux de gestion excluent totalement la notion de fatigue, Cart Life la place au tout premier plan. Travailler est sans doute la partie la moins agréable de Cart Life, et pourtant, c’est la plus importante. Comme dans la vraie vie, on n’a pas toujours le choix.
M comme Monochromie.
Dans Cart Life, tout est gris, pas une once de couleur ne vient égayer ces graphismes plombants. C’est beau, mais qu’est-ce-que c’est triste! Le gris crée une sérieuse impression d’oppression, de la monochromie nait la monotonie.
N comme Narration.
A travers les trois personnages, ce sont trois histoires que Cart Life nous raconte. Mais quel que soit votre choix, ce sera une histoire triste, celle d’un individu qui se démène et qui peine à joindre les deux bouts, celle d’un homme, ou d’une femme, qui a ses valeurs, et qui au fond du gouffre sera parfois amené à les bafouer. Une histoire honteuse, celle du quotidien de milliers de gens. Mais la perspective d’un happy end n’est pas écartée.
O comme Onirique.
Chaque jour, ou plutôt chaque nuit de Cart Life est ponctué par des scènes de rêve. Pour ma part, je n’ai jamais apprécié les scènes de rêve, que ce soit au cinéma ou dans le jeu vidéo, car on essaye toujours de leur donner un sens, et que je suis persuadé que les rêves n’en ont pas. Mais sans Cart Life…les rêves ressemblent à des rêves, courts-métrages insensés reprenant divers éléments du quotidien, de la mémoire. Les rêves ne servent pas à une intrigue, mais simplement à mieux connaître chaque personnage, c’est une vitrine floue sur leur passé, et c’est grandement apprécié.
P comme Prix.
Comme tout bon jeu de gestion, Cart Life vous laisse librement fixer les prix de chacun de vos produits. S’ils sont peu chers, les clients s’enthousiasmeront, s’ils sont trop chers, ils ne viendront plus. Quoi de plus classique? Sauf qu’il y a une subtilité, celle qui a déjà été évoquée plus haut : Cart Life est humain. Vous savez pourquoi vous essayez de gagner de l’argent, vous savez ce qu’est d’être sans un sou, vous connaissez et vous attachez à chacun de vos clients, bref : le rapport à la vente n’a plus rien à voir avec n’importe quel autre jeu de gestion. Il ne s’agit pas de capitaliser, il s’agit de survivre, il ne s’agit pas d’arnaquer, il s’agit de fidéliser. En cela, il est le jeu de gestion le plus réaliste auquel j’ai pu jouer.
Q comme Questions.
Beaucoup de questions dans Cart Life. Il y a celle que l’on vous pose, et dont vous devez choisir la réponse comme dans tout bon jeu d’aventure. Il y a celles que vous posez à vos clients, sur n’importe quel sujet dont vous avez pu entendre parler, sur les lieux, sur les gens, et qui ne servent qu’à vous imprégner de l’ambiance de la ville, à créer du background, et donc une grande richesse. Enfin, il y a les questions de quiz à choix multiples, posées à chaque fois que vous vendez 10 exemplaires d’un même produit. Elles sont généralement à vocation culturelles et ont un lien avec le produit concerné, comme : Laquelle de ces personnalité à joué dans dans (l’excellent) Coffee and Cigarettes de Jim Jarmush ?
Ces questions peuvent vous rapporter quelques dollars si vous répondez juste, mais elles servent surtout à vous distraire de votre tâche si répétitive. L’occasion de prendre une pause et de respirer un peu.
R comme Route.
Pour vous déplacer d’un point à un autre de Georgetown, il vous faudra choisir un moyen de transport : le taxi, le bus ou la marche à pied. Les prix varient évidemment, mais aussi le temps de jeu et le temps réel. Ainsi, s’il est prévisible que le bus est plus lent que le taxi, le joueur devra, s’il a choisi le bus, assister à une cinématique de quelques secondes symbolisant le temps de son voyage en bus. S’il choisit la marche, il devra lui même, avec son clavier, mener son personnage au point désiré, ce qui lui coutera plus de temps réel encore. Plus fort encore, sur son chemin, le joueur pourra être apostrophé par divers personnages, qui lui feront perdre son temps, mais peut-être aussi gagner sa journée. N’est il pas gratifiant de se coucher en pensant qu’on a donné 10 dollars à un étranger dans le besoin?
S comme Social.
Cart Life est ce qu’on pourrait appeler un jeu social, ce qui n’a rien avoir avec les « social games » qui se multiplient sur Facebook. J’entends par là que, sans forcement véhiculer d’opinions, ce jeu aborde des sujets sociaux tels que l’immigration, la cellule familiale, l’auto-entreprise. Mais ce qu’on remarque c’est surtout la difficulté des basses classes à joindre les deux bouts, les absurdités du système administratif, la présence policière constante, la périclitation du petit commerce, mais aussi, pensée réconfortante, la solidarité qui unit les êtres dans la galère. La peinture sociale que brosse Cart Life n’est pas noire, ni blanche, elle est grise, comme la vie l’est parfois.
T comme Temps et Trésorerie.
Dans Cart Life, vous n’aurez que ces deux ennemis, marchant main dans la main pour mieux vous nuire. Une journée s’écoule en quelques minutes, et le loyer à payer revient beaucoup trop régulièrement. Le temps c’est de l’argent, l’adage n’a jamais été aussi bien illustré, mais ici dans un sens assez pervers : Perdre du temps, c’est perdre de l’argent, mais il n’y a jamais moyen de gagner du temps. On passe son temps à courir désespérément après la montre, on peste que la moindre erreur d’orientation ait pu nous faire perdre deux heures, on serait presque tenté de prendre un taxi, mais la trésorerie elle-aussi nous lorgne d’un œil sadique. Si tu prends un taxi, que vas-tu manger ce soir ?
U comme Ulcère.
Ulcère car à trop jouer à Cart Life vous pourriez bien en développer un. Sous son apparente simplicité, ce jeu est un des plus stressants et un des plus difficile. On ne sait jamais de quoi sera fait le lendemain, et quand bien même on le saurait, tout va bien trop vite pour s’y préparer. On passe son temps à courir, à constater qu’il nous manque ci, ça, à fumer boire des cafés et bouffer des barres de céréales. Cart Life est assurément mauvais pour la santé, mais il est bon pour l’esprit.
V comme Village.
Derrière ses aspects de grande ville, Georgetown est en réalité un village, tout le monde se connait, ou presque. Le jeu ne comporte pas, ou très peu de personnages anonymes. Tous ont un nom, un rôle, il y a le tenancier du restaurant, l’agent de police, l’employée de mairie…Chacun a ses petites habitudes, et passera à heure fixe devant notre stand. On apprendra alors à mieux les connaître, on s’y attachera, et on prendra vite plaisir à engager avec eux la discussion.
W comme Robert McLiam Wilson.
Là encore, Cart Life pourra rappeler les romans de l’auteur irlandais. C’est Eureka Street notamment qui m’est venu à l’esprit. Une rue dans laquelle plusieurs personnages se démènent pour survivre, pour joindre les deux bouts. Une série d’histoire qui devraient être tristes, et qui pourtant brillent par leurs ingéniosité, qui parviennent malgré tout, dans leurs moment de grâce, à vous soutirer un sourire.
X comme X-men.
Parce que Andrus, Melanie et Vinny sont des super héros du quotidien. Ils cherchent à rendre le monde meilleur, à leur échelle, quitte à faire des sacrifices. Ils ne vivent pas pour eux, mais pour leurs proches, leurs clients, les étrangers, du moins c’est ainsi que je vous invite à les jouer.
Parce qu’il n’y a pas beaucoup de mots en X aussi…
Y comme YEAH!
Rien à ajouter.
Z comme Zéro Euro.
Dois-je le préciser ? Cart Life demeure un jeu entièrement gratuit. Si les versions payantes permettent de jouer avec Vinny et d’obtenir des goodies, il s’agit tout de même plus d’une donation que d’un achat. La version gratuite de Cart Life est complète et pourra vous occuper des jours durant pourvu que vous ayez patience et détermination. Cela vous semblera difficile au début, vous ne comprendrez sans doute pas grand chose, mais Cart Life est vraiment un de ces jeux qui mérite qu’on s’y investisse pour en saisir tous les mécanismes.
Pnume
Oh wow.
Il est génial ce jeu, tellement de choses à voir, tellement de travail mais si peu de temps… p’tete le seul bémol, pour moi, les journées passent vraiment TROP vite.
Du coup j’ai l’impression qu’il faudrait s’y reprendre à plusieurs fois pour parvenir à son but mais ça « gâche » un peu le tout.
Pis les bruitages, l’immersion, les personnages, grosse saveur.
Ca donnerait presque envie de payer pour recevoir les goodies m’enfin 30$ c’est un peu trop pour moi 😆
admin
Je pense que je vais investir pour ma part, mais j’attends que les derniers bugs soient corrigés. J’en ai assez de recommencer en boucle la même journée.
Pnume
Ah bien, donc je ne suis pas le seul ! Espérons que ça s’arrange vite.