No Place Like Home

No Place Like Home (Browser)
Sachka et The Mutant Sparrow

 

A chaque fois que je présente un escape room sur l’Oujevipo, j’ai une intro toute préparée, quelque chose comme : « Je ne présente pas souvent d’escape room sur l’oujevipo, et pour cause, ce sous-genre de jeu vidéo n’a pas tendance à beaucoup se renouveler. Mais celui-ci blah blah blah blah ».

Pour le coup, j’ai réussi à me retenir à la dernière minute, parce qu’il serait faux de dire que No Place Like Home renouvelle le genre. Il s’obstine bien au contraire à en perpétuer les codes formels.

La force de ce jeu, c’est plutôt le fond, qu’il injecte dans un genre qui en est traditionnellement exempt.

 

On connait pourtant les obstacles à la narration que pose un escape room :

-L’amnésie du personnage principal, qui interdit tout background de celui-ci.

-L’unité de lieu, de temps et de personnage, qui contraint à une pièce en un acte, une scène.

-L’action du joueur, consistant généralement à des séries de clics effrénés et n’apportant pas par conséquent une grande immersion.

-Et enfin, le dénouement connu d’avance : la sortie.

Voyons comment Sachka s’est jouée de ces contraintes une à une. Attention, ça va spoiler.

 

 

 

Pour le background, c’est bien simple : puisqu’elle ne peut en créer un elle-même, Sachka s’appuie sur un univers déjà existant et connu de tous : celui du Magicien d’Oz. Seulement, cet univers est détourné, et si certains codes et références demeurent, son ambiance n’est pas du tout la même et on appréciera d’ailleurs ce sentiment malsain que  ce qui est originellement un film pour enfant parvient à nous inspirer. Dans le même esprit point & click, Alice is Dead réalisait plus tôt la même prouesse.

Mais malgré cette anxiogénisation de l’univers, le joueur se trouve en terrain semi-connu, ce qui donne au jeu une épaisseur, qui l’étend au-delà de ses graphismes et effets sonores, et qui au final, permet d’enrichir la narration.

D’autre part, de faiblesse, l’amnésie devient une force. Elle n’est pas gratuite et fait sens grâce aux pilules que l’héroïne ingère. Si on ne sait pas ce que Dorothy fait dans cette pièce (tiens, preuve de ce que j’avance plus haut : qu’est-ce qui me fait croire au fond qu’il s’agit de Dorothy ?), on connait les raisons de son oubli. C’est mince comme background, oui, mais c’est un background.

 

Ces mêmes pilules bouleversent aussi l’unité de temps : No Place Like Home n’est pas constitué d’une scène, mais potentiellement d’une infinité de scènes qui se répètent. L’ingestion trop massive de ces « médicaments » ne cause pas un game over, mais un reset automatique inclus dans la narration. On ne recommence pas du début, on recommence à zéro, mais un peu plus tard.

L’unité de personnage est elle aussi contournée : certes, l’héroïne est seule dans cet appartement, mais celui-ci est hanté par la présence du lion, de l’épouvantail et de l’homme de fer, adjuvants de Dorothy.

Quant à l’unité de lieu…bon, là, il n’y a pas vraiment de surprise, sans quoi ce ne serait pas un escape room.

 

No Place Like Home ne se joue pas comme la plupart des escape rooms : on n’inonde pas l’écran de clics comme si notre vie en dépendant, on bascule vers la mesure, la réflexion. Pourquoi ? D’abord parce qu’on comprend vite que ce jeu n’est pas du genre à cacher des objets dans des recoins inaccessibles. Ensuite parce que ces objets sont légion, et que la difficulté est plutôt de savoir comment les utiliser plutôt que de les trouver. Alors on prend son temps, on s’attarde sur chaque indice, et finalement…on se laisse raconter une histoire.  Ces pages volantes du journal intime, que l’on retrouve par dizaines et qu’on n’aurait peut-être pas lu dans un autre genre de jeu, là, on les lit, on essaye de remettre en place les pièces du puzzle, on se dit que ça va peut être nous aider, et au final, on se retrouve demandeur de cette narration, car chacune de ses étapes nous laisse penser qu’on avance. En fait, ce n’est pas le cas, et c’est ça qui est génial.

 

Quant au dénouement : on se fiche bien de connaître déjà l’issue du jeu. D’accord, on sait qu’on va finir par sortir (si on est bon) mais une fois immergé dans le jeu, tout ce qu’on désire savoir c’est : Qu’est-ce qu’il y a dehors ? Est-ce que j’ai vraiment envie de sortir ? Est-ce que c’est juste une sorte de métaphore ?

 

Sur son blog, Sachka dit des choses très intéressantes à propos de son jeu, et je vous suggère d’y jeter un œil si cela vous a plu. Il y a une remarque notamment qui m’a beaucoup frappé :

« Il me semble, très subjectivement, que les meilleurs jeux d’escape sont pour l’instant japonais. Ou peut-être pas les meilleurs, mais en tout cas les plus canoniques et formalistes. Ils sont généralement très épurés visuellement, les énigmes sont volontiers abstraites, mathématiques, ou faites d’associations de formes colorées, de lettres ou de symboles. Il n’y a généralement aucun texte, ou très, peu, généralement aucun contexte narratif, ou alors à peine suggéré. Les jeux d’escape occidentaux au contraire, ont tendance à aller vers du jeu d’aventure classique, avec des énigmes souvent peu intéressantes car trop rationnelles, pragmatiques (réparer, construire…), et des jeux très bavards. On a l’impression de jouer un extrait d’un jeu d’aventure plus vaste, et pas d’être à l’intérieur d’un casse-tête géant, mais fermé et fini.

Mon objectif était d’essayer de trouver un juste milieu »

Je n’y avais pas pensé, et en fait…c’est ça, juste ça, PILE POIL ! No Place Like Home est japonais dans sa forme, et occidental dans son fond. La prouesse est admirable.

 

Je me répands en louanges pour Sachka, mais j’en viens à oublier le travail admirable de son collaborateur, Mutant Sparrow : c’est aussi parce que parfois une capture d’écran vaut mieux que de longs discours : Citez moi un seul escape room aux graphismes aussi époustouflants !

 

Finalement, je n’aurai que deux mots à dire pour conclure cette review : lacon burgess.

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8 Comments

  1. Superbe.
    J’ai pas d’autres mots.

  2. « lacon burgess »

    Ce qui veut dire ?

  3. Je n’en ai pas la moindre idée 🙂 . J’avais écrit ça dans ma feuille de notes sur le jeu, et je n’ai pas compris en relisant. Mais j’ai pensé que ça devait être important.

  4. Si je vous dit que la marque de la pile rayée jaune et noire (qu’on trouve dans le buffet) est Burgess, ça vous aiderait ?

  5. Oh…
    OH…
    Alors cela aurait un sens ? Alors je ne serais pas complètement cinglé ?
    Je dois alors rejouer à No Place Like Home pour élucider ce dernier mystère. Je dois trouver lacon.

  6. Peut-être avez vous voulu dire « flacon » ?

    Heureux de vous avoir fourni un prétexte pour rejouer à cet excellent jeu, ceci dit. 🙂

  7. Bon, j’ai de nouveau fini le jeu sans en saisir plus.
    Mais ça valait le coup quand même. 🙂

  8. Dommage… Votre inconscient emportera donc ce secret dans la tombe.

    A moins qu’il ne vienne hanter vos cauchemars à coups de « lacon, lacon »… 😕

    … mystiquement répétés par une voix sifflante… :sigh:

    … et déshumanisée ? 🙁

    Ou pire ! 😮 Sous la forme d’un chuchotement de tous les instants que vous seriez le seul à entendre, même éveillé ! 😥

    Franchement, je ne vous le souhaite pas. 😐

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