Crime Zone (Windows)
Thecatamites

 

La zone à risques.

Un secteur longtemps laissé à l’abandon, une zone de non-droit où meurtres et dégradations sont monnaie courante. Un lieu où il ne fait pas bon se balader seul.

Fort heureusement, la mairie a décidé d’agir, et les patrouilles de police se sont multipliées dans le quartier. La vie devrait alors y devenir plus paisible…à moins que…

 

C’est dans ce contexte que se déroule le dernier jeu de Thecatamites, créé pour la Ludum Dare 21. L’auteur nous a déjà habitué aux jeux frôlant la folie de près (Space Funeral, Murder Dog IV) et avec Crime Zone, nous ne serons pas dépaysés.

 

 

 

Ce qui saute généralement aux yeux dans les jeux de l’auteur, et particulièrement dans celui-ci, ce sont les graphismes. Et ils sautent aux yeux littéralement, toutes griffes dehors pour mieux les déchiqueter. Ces lignes tracées à la main nonchalamment, ces contrastes criards…qualifier ça de beau serait mentir, et pourtant, passé quelques minutes de jeu, on ne pourrait envisager d’autre graphismes.

C’est là où on se rend compte qu’il n’y a plus guère que dans le jeu vidéo qu’on est systématiquement en recherche du beau. Dans la plupart des autres arts, de nombreux auteurs ont réussi à s’en affranchir pour poursuivre quelque chose d’autre. Je pense à Otto Dix en peinture, à Mattt Konture en bande dessinée, Todd Browning au cinéma…

Dans le jeu vidéo, le beau demeure une priorité, il y a fort heureusement de nombreux archétypes de beau : le beau réaliste, le beau cartoonesque, le beau pixel-art…Mais si des graphismes peuvent être inquiétants, joyeux, touchants…il leur sera demandé d’être beaux, d’une manière ou d’une autre.

Thecatamites fait du moche, et il vous emmerde.

 

Ses jeux pourraient passer pour ceux d’un amateur complet, d’un pré-pubère tripatouillant les logiciels pour en sortir quelques horreurs vides improvisées. Mais il n’en est rien : Thecatamites donne l’impression de savoir précisément ce qu’il fait. Il s’obstine.

 

Crime Zone semble par exemple très réfléchi. Il se base sur un principe original : le joueur, explorant pourtant les allées à la première personne, change constamment d’identité. Changement annoncé par la narration digne d’une fiction interactive. « Vous êtes l’officier truc. » « Vous êtes l’officier machin »…le gimmick en deviendrait presque inquiétant, d’autant qu’il ne faut pas s’attendre à la moindre explication.

Ce concept fait naître une certaine frustration : les histoires se commencent pour ne jamais se finir. On aimerait faire quelque chose, interagir, mais on ne peut que se laisser porter contre notre gré d’un corps à l’autre. Ces corps pourtant ne présentent pas grande différence : Tous sont des policiers, et tous se contentent de patrouiller dans la zone à risque, avec zèle et enthousiasme.

 

Là se pose le paradoxe de Crime Zone, ou plutôt, le double paradoxe. En tant que joueur plongé dans un jeu censé être d’aventure, on s’attendrait à résoudre des énigmes. D’autre part, en incarnant un policier, on s’attendrait à résoudre des crimes, des enquêtes.

Or, dans Crime Zone, on ne résout rien. On demeure un spectateur. Et le jeu ne semble pas avoir de fin, il se contente d’opérer des boucles plus ou moins répétitives en fonctions de nos choix. Cela va donc à l’encontre de tout principe de jeu d’aventure/de fiction policière.

 

Alors pourquoi ? C’est quoi l’intérêt de ce jeu ? Loin de moi la prétention de lire dans les pensées de thecatamites, je crois qu’aucun humain n’en est capable, mais endossant mon rôle de spectateur, j’ai fini par observer certaines choses, par boucler des boucles. Toutes ces horreurs qui parsèment la zone : cadavres, flaques de pisse, violences gratuites…se révèlent au final toutes être à l’initiative de ces policiers en ronde. Et l’absence de tout individu non-flic conduit à se poser certaines questions. Et si cette zone à risque ne l’était qu’en raison de cette présence policière ? Et si, plutôt qu’un lieu de travail, il ne s’agissait en fait que d’un vaste terrain de jeu ?