the monster in meThe Monster in Me (Windows, Mac, Linux)
Alice Rendell et Gauthier André

 

Trois…

C’est un bon nombre trois.

En cas de vote à main levée, il y aura toujours une majorité, s’il y en a un qui est blessé, les autres pourront le porter, et s’il y en a un qui pète un plomb, deux pourront le maîtriser.

C’est un bon nombre trois, surtout en cas d’apocalypse. La preuve, c’est qu’on est encore là, Jakob, Ana et moi.

 

Notre dernier coup de chance a été de trouver cet entrepôt. Des murs solides, une porte qui ne s’ouvre que de l’intérieur, quelques boîtes de pêches au sirop et d’autres de haricots. Nous avons tout ce qu’il nous faut pour tenir trois ou quatre semaines. Après, on verra bien. Cela fait longtemps que nous avons appris à ne pas nous projeter.

 

Ana et Jakob se disputent beaucoup. Comme un vieux couple, mais dont les querelles de tour de vaisselle seraient remplacées par des questions de vie ou de mort. Je crois qu’Ana n’a pas encore bien réalisé la situation dans laquelle nous nous trouvons. Quant à Jakob…il l’a peut-être trop intégré. Je le soupçonne d’avoir regardé un peu trop de films de zombies, à l’époque.

 

Moi, je n’ai pas d’opinion. Les récents événements m’ont lessivé et mon ennuyeuse vie d’avant ne m’a pas certainement pas préparé à survivre dans un tel merdier. Si je suis encore là, c’est grâce à l’humanité d’Ana et à la monstruosité de Jakob. Et pourtant, ils ne cessent de me demander mon avis, de me prendre à parti pour les départager.

 

C’est un bon nombre trois, mais malheureusement je suis toujours le troisième. Jakob a Ana, Ana a Jakob, et moi, qu’est-ce que j’ai ? Pour quoi je me bats ? Pour qui je survis ? Peut-être serait-il temps d’ouvrir la porte. De passer à quatre, à cinq, à deux, à un pourquoi pas ? De briser l’équilibre, de stopper l’inertie, de m’enlever des épaules la responsabilité qu’Ana et Jakob veulent me faire porter. Je n’ai pas l’étoffe d’un chef. Je ne suis pas un héros. Je veux simplement en finir.

 

D’ici quelques semaines, quand il nous faudra quitter l’entrepôt, parce qu’il faudra, quand nous reprendrons la route tous les trois, dans l’espoir de trouver une conserve à ouvrir, un autre endroit ou dormir, alors…alors je leur dirai. Trois, c’est un de trop. Continuez sans moi.