The Entertainment (Oculus Rift, Windows, Mac, Linux)
Cardboard Computer (Jake Elliott & Tamas Kemenczy)
Vous vous demandez encore si l’Oculus Rift va vraiment modifier notre manière de jouer, et notre définition du jeu vidéo en général ? Vous n’êtes plus qu’à un clic de la réponse. Asseyez-vous confortablement dans votre fauteuil, placez l’Oculus sur vos yeux et préparez-vous à assister à ce qui est vraisemblablement la première représentation fictionnelle de méta-pièce de théâtre vidéo-ludique en réalité virtuelle.
Vous n’avez pas d’Oculus Rift ? Moi non plus. L’expérience heureusement reste saisissante sur Windows, Mac et Linux.
Comme Limits & Demonstrations, The Entertainment s’inscrit dans le prolongement de Kentucky Route Zero, une route décidément pleine d’embranchements, mais qui finissent toujours par y revenir, des détours.
The Entertainment, c’est une pièce, ou plutôt deux pièces : A Reckoning et ‘A Bar-fly de Lem Doolittle, adaptés par Joseph Wheattree pour n’en former plus qu’une, et mises en scène par James B. Carrington. Comme Lula Chamberlain, auteur des œuvres de Limits & Demonstrations, et d’ailleurs décoratrice pour The Entertainment, tous ces personnages sont bien évidement fictionnels, mais à force de brouiller les pistes, d’enrichir son univers et de se cacher derrière ces noms d’artistes, Jake Elliott finirait par nous faire douter…
On parle parfois de « spectacle total », mais jamais ces deux mots n’auront autant fait sens que dans The Entertainment, car aux deux pièces présentées se mêlent aussi le public, les notes de l’auteur, du responsable de l’adaptation, du metteur en scène, ainsi que les critiques publiées dans la presse. Tout s’y mélange de manière homogène, et il suffira de tourner la tête, de bouger la souris, pour passer de l’un à l’autre sans pourtant ne rien interrompre, car oui, c’est à nous de donner son rythme à The Entertainment. Assis à la table du bar, nous sommes à la fois joueur, spectateur, acteur de la pièce, et régisseur, pointant le projecteur (au sens propre) en fonction de nos envies, de notre lassitude, et composant ainsi notre divertissement sur mesure.
En jouant à The Entertainment, il m’est arrivé quelque chose d’assez singulier : je me suis endormi. C’est, je crois, la première fois que je m’endors en jouant à un jeu vidéo. J’ai conscience de l’impact négatif que peut avoir cette déclaration, faisant passer le jeu pour ennuyeux ou soporifique. Mais s’il est soporifique, s’il est ennuyeux, c’est alors dans le bon sens de ces deux termes, à la manière du Dead Man de Jarmush (vu trois fois, en neuf fois). L’ambiance de cette soirée morne est retranscrit avec tellement de soin et la mélancolie de ces personnages criblés de dettes avec tant de justesse qu’il est difficile de ne pas sombrer, assommé par ce whisky que l’on ne boit pas vraiment.
Mais le plus surprenant, c’est que cette petite absence de 5, 10, 15 minutes n’a aucunement brisé la magie de la pièce. The Entertainment, la pièce, la vie a continué sans moi, me faisant rater une partie des dialogues, sans pour autant que je me sente perdu à mon réveil. Je me suis alors senti extrêmement proche de ce rôle que l’on m’avait assigné, de ce pilier de comptoir, qui écoute distraitement les conversations en se demandant comment il va régler sa note. Un peu hagard, un peu groggy, je n’ai pas vu le temps passer, je me suis laissé bercer par la clameur du Hard Times café, et j’ai passé une très bonne soirée.
Pierre Chevalier
Alors aujourd’hui j’ai joué à ça, et c’était une expérience intéressante.
Le fait qu’on puisse s’endormir devant un jeu, se réveiller et continuer à jouer est sûrement un signe merveilleux que tout ce bordel de jeux vidéos indépendants est en train d’accoucher de quelque chose. T’as carrément roupillé tel un théâtreux parisien en plein festival d’Avignon.
Bon, par ailleurs j’essaye d’être ouvert à toutes les expérimentations de forme et finalement, il est assez plaisant ce bar, certes. Je peux pas dire que j’ai passé un mauvais moment mais il aurait pas fallu que ça dure plus.
Les créateurs de jeux cherchent de nouvelles techniques narratives et c’est cool.
Par contre face à The Entertainement j’avoue que je n’ai pas ressenti autre chose qu’un vague intérêt du genre « où tout cela va-t-il me mener? » pour qu’au final que ça ne me mène…à rien.
Je pense que The Entertainment a essayé d’importer des spécificités du théâtre (la présence, la possibilité de représenter le simultané et l’impossibilité de contrôler le regard du spectateur) dans le jeu vidéo, la démarche est intéressante en soi, mais au final le résultat est franchement tristounet: d’une part ça n’apporte rien par rapport à une représentation théâtrale traditionnelle, et en plus il manque ce qui fait l’intérêt principal du théâtre : la présence humaine en chair et en os.
Ensuite, j’aime bien la 3d quand elle est utilisée comme levier créatif, par contre je l’apprécie beaucoup moins comme « cinéma du pauvre ». Un décor 3d alors qu’on peut même pas se lever de sa chaise, non merci je ne vois pas l’intérêt. Un jeu dessiné, peint, filmé aurait sûrement permis beaucoup plus au niveau des graphismes et de leur sens (faut bien avouer que là ce qu’on voit à l’écran n’apporte pas grand chose…). Et dans ce défaut The Entertainment se rapproche un peu de Stanley Parable et de Gone Home, deux jeux narratifs que j’ai aussi trouvé assez vains.
Sinon pour en revenir à The Entertainment la façon dont le texte se « déroule » fait un peu amateur à l’heure où on a des utilisations très virtuoses de la « narration fragmentée » (pour moi le grand maître du texte à l’écran reste thecatamites). Dans The Entertainment, tous ces petits bouts de textes qu’on lit en une fraction de secondes ont usé ma patience, j’avais beau cliquer comme un taré ça passait jamais assez vite. Franchement j’ai plus cliqué dans The Entertainment que dans Cookie Clicker, une fébrilité qui ruine un peu l’ambiance…
Donc, essai intéressant, mais je n’ai pas trouvé grand chose à en tirer pour l’instant.
admin
Tu as joué à Kentucky Route Zero ? The Entertainment est aussi interessant parce qu’il vient en prolonger l’experience. Rien que pour ça, je ne le trouve pas « vain ».
Par contre, je suis d’accord à 200% pour la critique de l’affichage du texte. C’est insupportable! Autant ça marche dans KRZ car les dialogues ne font pas tout le jeu, mais ici, il n’y a que ça, et c’en est épuisant. Je n’arrive pas à croire qu’ils ne s’en soient pas rendu compte.
Pierre Chevalier
ha non! Kentucky Route Zero c’est l’autre jeu (avec bien 12-15 autres) que je dois tester avant 2014. J’y cours
Pierre Chevalier
aussi, j’ai repensé à The Entertainment et je me dis quand même que la démarche est intéressante, qu’il y a plein d’idées pas mal et que la forme fait malgré tout pas mal écho au fond. Il y a
– le thème de l’endettement abordé comme s’il était déjà ancien, en 1973 (année supposée de la représentation) alors qu’il sonne très « contemporain » à nos oreilles de joueur
– le gameplay-souris qui correspond bien à une attitude de poivrot contemplatif (je tourne ma tête dans tous les sens..je scrute vaguement…je fixe la table…)
– le moment où l’on comprend la place que l’on occupe et le(s) rôle(s) que le jeu nous fait endosser et la façon dont ce rôle est défini autant par notre regard (ce que qu’on voit) que par les didascalies qu’on « trouve » quand on regarde la table
– le texte tout de même assez prenant…
Donc conclusion : c’est malgré tout bien plus intéressant que Gone Home et Stanley Parable.
admin
Moi c’est justement ces Gone Home et Stanley Parable que je dois essayer. J’en entend énormément de bien de partout, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que des jeux jouant avec les réflexes de joueur et questionnant le choix dans le jeu vidéo, j’en ai déjà testé des flopées. Surement pas aussi aboutis, surement pas aussi riches, mais j’ai tout de même peur de ne pas être très surpris par le jeu, et donc de ne pas l’apprécier autant. Car il semble bien que dans The Stanley Parable en particulier, tout repose sur la surprise. Un peu comme après avoir lu Le Meurtre de Roger Akroyd, on est plus aussi surpris en lisant Shutter Island et autre thrillers se jouant de la confiance accordée au narrateur.