Loop Raccord (Windows)
Nicolai Troshinsky

 

J’avais il y a quelques jours présenté Mouseum, de Marcos, que je pressentais pour remporter l’Experimental Gameplay Project et être installé à Babycastle. Mais la concurrence se fait rude, car Nicolai Trochinsky, à qui l’on doit déjà Ufo on Tape entre dans la compétition.

 

Ufo on Tape rappelez vous est un jeu qui utilisait exclusivement des séquences vidéos. Il était en quelque sorte les prémices du nouveau projet de Troshinsky : Les jeux recyclés.

 

Nulle trace d’écologie là dedans (quoique), mais le désir de n’utiliser pour ses jeux que du matériel audiovisuel déjà existant. L’idée est séduisante : D’une part car elle permet la réutilisation d’un gigantesque fond laissé à l’abandon, ce à quoi mes études d’audiovisuel ne me laissent pas indifférent. D’autre part, car elle ouvre la porte du jeu vidéo à tout ceux qui n’ont aucune compétence graphique, ce qui ne me laisse pas non plus indifférent puisque je suis dans ce cas.

 

Loop Raccord n’utilise donc que des extraits de publicités, films éducatifs et institutionnels devenus libres de droits. Mais à matériel nouveau, il faut inventer des mécaniques nouvelles, et sur ce point Troshinsky ne nous déçoit pas.

 

 

Le gameplay de Loop Raccord s’adapte parfaitement au matériel vidéo…en fait…il ne peut fonctionner qu’avec du matériel vidéo, c’est ce qu’on pourrait appeler une exploitation maximale des ressources.

 

L’idée est de synchroniser l’un après l’autre les extraits afin de créer une boucle, dans le temps certes, mais surtout dans l’espace. Les instructions du jeu sont disponibles en pressant F1, mais comme cela n’a pas fonctionné sur mon ordinateur, je me permet de développer un peu ici.

(à noter qu’il est aussi intéressant de se lancer, comme moi, dans le jeu sans aucune instruction et d’en saisir progressivement la mécanique)

 

Au début de chaque « niveau », une vidéo sera active, et une autre cliquable : l’idée est de synchroniser la deuxième afin de créer un mouvement continu. Ex : la main disparaissant par la gauche de la vidéo 1 donnera l’impulsion à la balançoire de la vidéo 2. Quand cette synchronisation sera établie, on passe à la troisième vidéo, puis à la quatrième…jusqu’à ce que toutes soient synchronisées en un seul mouvement.

 

C’est simple et difficile à la fois : les mouvements de chaque extrait sont assez simples pour que l’on comprenne immédiatement leur implication dans le mouvement global, mais la brièveté de ses même extraits les rend parfois difficile à synchroniser.

 

Mais ce ne sont là que des détails, car au final, on se fiche bien du gameplay, ce qui compte, c’est le résultat final (et la satisfaction d’y être parvenu) : Une litanie d’images et de sons hétérogènes, et pourtant accordés en un même mouvement/rythme. L’expérience est bluffante aussi bien visuellement que musicalement, car c’est bien une musique que forment ces jingles et quelques mots avortés. La boucle ne dure pas plus de quelques secondes, et on pourra déplorer que l’auteur ne nous laisse pas assez profiter du fruit de notre travail et nous fasse immédiatement passer au niveau supérieur.

 

Je dis supérieur, mais c’est une déformation professionnelle. Les niveaux se succédant ne sont que différentes boucles générés aléatoirement qu’il est possible de zaper d’un seul coup de barre espace. On retrouve donc là bien le thème de l’Experimental Gameplay Project : Neverending game.

 

 

Qu’évoque Loop Raccord ? Eh bien beaucoup de choses, ce qui est admirable pour une structure pourtant tout à fait innovante.

On pourra d’abord penser à de la bande dessinée, l’espace inter-iconique s’insérant entre chaque vidéo. L’idée de bande dessinée « animée » avait déjà été pensée, aussi bien dans la vidéo, avec par exemple le générique d’Hero Corp (surement pas le meilleur exemple mais c’est le seul qui me vienne actuellement à l’esprit) que dans le jeu vidéo, avec l’excellent Comix Zone sur mégadrive, mais c’est la première fois que ce concept abandonne l’idée de narration pour se concentrer sur une contrainte purement formelle.

 

Cette idée d’écrans fragmentés me fait aussi penser à Tracey Fragments. Film cinématographique qui utilise lui aussi la multiplicité des cadres, en s’affranchissant pourtant totalement de la bande dessinée, puisque ces cadres sont simultanés, et non successifs.

 

Loop Raccord évoque aussi ces réactions en chaînes si plaisants à regarder, aussi bien mécanique, à la Rube Goldberg, que cinématographiques. Sauf que là encore, c’est entièrement gratuit : pas de gradation dans les séquences, pas de finalité. N’en reste que l’essence même : les simples voies de conséquences.

 

Loop Raccord pourra évoquer enfin ces montages impressionnants dont il est inspiré et qu’il m’a permit de découvrir. Je vous suggère de regarder celle ci, certes longues, mais stupéfiante.

 

 

Au final Loop Raccord aura pour la première fois sorti la vidéo du tout puissant écran. Elle n’occupe plus le monopole dont elle a l’habitude, mais doit partager avec ses congénères un espace qui n’est même plus celui d’un écran. On ne s’intéresse plus à ce qui est cadré, mais justement à ce qui en sort, ce qui se passe à l’extérieur. Jamais la vidéo n’a été aussi proche de la bande dessinée, et le jeu vidéo s’est rarement retrouvé aussi éloigné…du jeu vidéo.