Canal Baltique

Canal Baltique (Browser)
Sakutei

 

Je me suis trouvé ce matin face à deux problèmes.

Le premier, c’est que je ne trouvais aucun jeu à vous présenter aujourd’hui.

Le deuxième, c’est qu’il me fallait parler de Canal Baltique, la dernière création de Sakutei, docteur ès Mots Justes, bien qu’il ne soit pas dans mes habitudes de présenter autre chose que des jeux sur l’Oujevipo.

 

Sept parties de Canabalt plus tard, j’ai eu l’illumination. C’était pourtant si simple : Canal Baltique est un jeu! Si le jeu se définit par un ensemble de règles, une interactivité et des conditions d’échec et de victoire, alors le doute n’est plus permis.

En toute sérénité, et sans copinage, je vous l’assure, je vais donc vous présenter aujourd’hui Canal Baltique.

 

Avant toute chose, il vous faut jouer à Canabalt. Je suppose que la plupart d’entre vous ont déjà essayé ce superbe one-button game à la BO époustouflante, mais dans le doute, vous le trouverez ici. Offrez vous le luxe de plusieurs parties. Imprégnez-vous de son ambiance, laissez le temps à votre cerveau de se déconnecter un instant, puis revenez donc par ici, ou directement sur le blog de Sakutei où vous trouverez toutes les informations nécessaires.

 

Canal Baltique pourrait être qualifié d’interactive fanfic de Canabalt, si le mot fanfic n’avait pas un côté réducteur vis à vis de l’effort d’imagination. Canal Baltique découle certes de Canabalt, mais il le transcende, le transforme peu à peu, le modèle en objet de culte et le hisse sur un piédestal lancé à 44km/h, au moins.

 

A première vue, Canal Baltique est une nouvelle, ni plus ni moins. On s’y déplace de chapitre en chapitre grace à deux boutons « Fuir plus loin », pour passer au chapitre suivant, et « Revenir », pour revenir au précédent. A priori, pas de quoi le qualifier de fiction interactive, les boutons n’étant que l’adaptation au format numérique du tournage des pages papier. Pour qu’on puisse accepter le terme d’interactivité, on se serait attendu au moins à une arborescence.

 

Pourtant, arborescence, il y a, mais celle ci est bien loin de ressembler à un arbre. J’y verrais plutôt une tige de muguet, aux fleurs tombantes toujours d’un même côté. Canal Baltique n’est pas linéaire, et dans cette nouvelle, avancer droit devant vous fera toujours échouer sur un cul de sac. Il faut savoir revenir sur ses pas, et, ayant appris de nos expériences, prendre de nouvelles directions. En relisant un passage, on découvre que quelque chose a changé, sans qu’aucun nouveau choix ne soit proposé, cette seule découverte nous permettra de changer d’orientation, de stratégie, et peut-être, de fuir plus loin.

 

En fait, le but de Canal Baltique est de coller le plus possible au gameplay de Canabalt. On court, toujours vers l’avant, puis on se ramasse. Alors on recommence, mais le décor a changé, et plus on y joue, plus on a de chance d’améliorer sa performance. Ce n’est pas tout : en se cantonnant au bouton « Fuir plus loin » (car l’autre n’est gère que la version détournée d’un « recommencer »), Canal Baltique devient lui aussi un one-button game, et sans doute le premier dans le genre de la fiction interactive.

Mais en voulant coller au gameplay de Canabalt avec les contraintes de la fiction intéractive, Canal Baltique finira par nous rappeler un autre jeu vidéo : Braid, ce jeu dans lequel on peut revenir dans le temps pour corriger les erreurs du passé. A l’exception qu’ici, il ne s’agit pas de temps, mais de distance.

 

Sakutei révèle sur son blog que Canal Baltique comporte trois fins, étrangement, j’en ai pour ma part compté quatre. Quatre cul-de-sac dont un seul seulement semble être la « bonne » fin, puisqu’il ne permet plus de revenir en arrière. Erreur de l’auteur, ou présomption de ma part ? Se peut-il qu’il existe deux autre « bonnes » fin ? A vous peut-être de le découvrir.

 

C’est bien joli tout ça, c’est intelligent, c’est expérimental, c’est un challenge d’ores et déjà remporté, mais qu’en est-il de l’histoire ? Car après tout, c’est bien ça qu’on attend d’une fiction interactive.

Eh bien tout d’abord, sans surprise, Canal Baltique est particulièrement bien écrit. Sakutei sait choisir le mot juste et nous inonder d’un vocabulaire connu, mais qui semble toujours agréablement déplacé.

Mais Sakutei ne cherche pas à nous impressionner, juste à nous berner. Canal Baltique nous fait tomber de déconvenues en déconvenues, son histoire se réécrit à chaque tentative, altérant quelques légers détails, on se prend toujours à se demander «  J’ai déjà lu ça ou pas ? » à se dire « Tiens, je n’avais pas compris ça ». Canal Baltique prend sens petit à petit, non sans nous avoir fait quelques détours sémantiques. On croit comprendre, puis on est détrompé, on doit alors méticuleusement oublier tout le sens que notre imagination avait élaboré pour accepter le nouveau.

Dans sa construction, Canal Baltique m’évoque Marelle, de Julio Cortazar, ce roman oulipien qui possède deux lectures, l’une linéaire, et l’autre frôlant l’anarchie.

Dans son ressenti, Canal Baltique m’évoque The Mercy Seat, de Nick Cave, cette litanie évolutive de sept minutes qui semble avoir été conçue pour que nul, sans texte sous le yeux, ne parvienne à la retenir et à la chanter.

Dans tout le reste, Canal Baltique m’évoque évidemment Canabalt.

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4 Comments

  1. Quel honneur de me trouver ici ^^ !
    J’ai passé un temps monstre sur ce texte et ça me réjouit de le voir fonctionner.

    J’ai effectivement voulu reprendre certains mécanismes propres aux jeux ; l’interactivité, les échecs, les nouvelles parties, les indices, la réflexion et les changements de stratégies… sans oublier bien entendu, la fin secrète 😉

    J’ai volontairement annoncé 3 fins quand il y en a 4 pour qu’au final, le lecteur dépasse encore le cadre des « règles du jeu » imposées par le Canabalt.
    Tout est trompeur, l’auteur, son récit et son histoire.

    Merci en tout cas pour cette review, je n’aurais pas pu en parler mieux que toi. Et si tu m’offres la justesse des mots, je peux quand à moi te dire que tu as le chic pour en révéler toutes les facettes ^^. J’ai beaucoup aimé l’image du muguet !

  2. Mince, désolé pour l’histoire des 3/4 fins, j’espère que je n’ai pas tout gâché ^^

  3. Nan, du tout 😀
    Le simple fait que tu marques la déviation entre ce que j’ai annoncé et ce que tu as trouvé va bien dans le sens du Canal Baltique :]

    D’autant que tu évoques d’autres fins potentielles dans ton article qui peuvent susciter encore plus de curiosité ^^.

  4. Je viens de tomber sur cet article et ce jeu, au hasard. Et je vais paraître un peu à la ramasse en commentant ça maintenant mais je ne peux pas m’en empêcher :
    C’était superbe ! Que d’émotion et de surprise !

    Le créateur a un vrai talent d’auteur et de game designer.
    Il y a peu de jeu qui me font autant plaisir à jouer.
    J’ai un seul autre exemple qui me vient à l’esprit : [url= »http://oujevipo.fr/20-minutes/917-no-one-has-to-die-« ]No one has to die[/url] que je trouve génial également. L’esprit est différent mais on retrouve une narration très bien menée et qui est vraiment servie par le gameplay (et vice-versa)

    J’espère que ce commentaire permettra à d’autres de voir cet article parce que ça vaut vraiment le coup.

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