Souvenir

Souvenir (Windows, Mac)
Robert Yang, Mohini Dutta, Ben Norskov

 

 

La situation est familière : d’un côté, il y a les cartons béants, qui ne demandent qu’à être remplis, de l’autre, quantité d’objets qui ne demandent qu’à être emportés. Ce sont les préparatifs du déménagement, ce moment aussi douloureux que précieux lors duquel on se tourne vers le passé, constate la myriade de souvenirs accumulés, et se retrouve contraint de choisir ceux qui nous accompagneront jusqu’à la prochaine étape.

 

Dans Souvenir, il ne s’agit pourtant pas de passer d’un appartement à un autre, mais d’une vie à une autre, d’une ère à une autre. La protagoniste quitte l’enfance, l’adolescence, pour embrasser sa vie d’adulte, et l’on peut concevoir que ceci engendre une certaine confusion.

 

 

Cette confusion, on la retrouve dans l’architecture de Souvenir : un monde en trois dimensions sens dessus-dessous, fortement inspiré de l’œuvre d’Eisher, dans lequel logique et gravité n’ont que très peu d’emprise. On se retrouve alors à y naviguer à l’instinct, à sauter d’un lieu familier à un autre sans la moindre transition, un instant dans la salle de classe de ses 10 ans, l’instant suivant devant le feu de camp de ses vacances d’été. Les souvenirs défilent sous la forme d’objets emblématiques, (diplôme, boucles d’oreilles, trophées…) qu’il faudra collecter. Ceux là peut-être bons comme mauvais mais cette distinction n’a pas la moindre incidence sur leur importance. Chaque souvenir est précieux, et chacun d’entre eux peut-être déterminant dans la création de cette nouvelle adulte. Au terme de la collecte, il faudra n’en garder que huit, mais la fin du jeu n’étant pas encore implémentée, cette sélection ne pourra se faire que dans la tête du joueur en attendant une nouvelle version.

 

En termes de gameplay, Souvenir pourrait évoquer un puzzle-platformer. Ses créateurs évoquent d’ailleurs VVVVVV et Portal dans leurs inspirations. VVVVVV pour les inversions de gravité, Portal pour l’aspect First Person Shooter. Mais Souvenir n’est en rien un puzzle : pas d’énigmes, pas de passages particulièrement corsés…juste de l’exploration, une adaptation vidéo-ludique du Je me souviens perequien tout comme l’était Paperplane ou dans une moindre mesure A house in California.

 

La différence avec les deux titres sus-cités est peut-être que dans Souvenir, tout n’est pas rose. L’enfance n’est pas ce moment insouciant, idyllique, que l’on revisite avec plaisir. Celle-ci a sa part de noirceur, de déceptions qui ne se révèle vraiment qu’avec le recul. Les parents qui ne sont plus vus comme des dieux tout puissant voient leurs défauts ressortir, certaines situations s’éclairent sous un jour nouveau…les yeux d’adulte sont décidément bien plus sévères.

 

Et puis il y a le fait que Souvenir est avant tout un au revoir. On ne retrouve pas ses souvenirs, on les quitte, et les corbeaux qui ponctuent notre exploration se chargent de nous le rappeler : Nevermore ! Jamais plus ! Souvenir oscille ainsi entre la nostalgie et l’amertume. C’est une œuvre profonde et complexe, tout comme l’esprit humain qu’elle cherche à sonder

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2 Comments

  1. blemish

    Wow, très classe et très bonne review aussi !

    J’espère qu’ils continueront le développement car ça donne bien envie d’essayer une version plus polish (un peu frustrant de tomber sans arrêt… et il y a tellement de choses à faire avec ce concept, ce serait vraiment dommage de s’arrêter là).

    J’adore la cohérence des différents éléments qui renvoient tous à l’exploration de souvenirs fragmentés:
    – narration/exploration ouverte
    – level design Escher-esque
    – gameplay d’exploration qui ne se résume pas à une simple balade linéaire et permet d’impliquer davantage le joueur que dans un Dear Esther par exemple.

    Au final, je regrette surtout le côté trop concret, statique et « mort » du monde.
    Des souvenirs en appellent d’autres, ce serait top de dévoiler de nouvelles sections au fur et à mesure de la collecte. Ca permettrait de se sentir progresser et de développer davantage la narration, sans forcément entrer dans un schéma totalement linéaire.

    Pourquoi ne pas avoir joué davantage avec la localisation du joueur aussi ? Le gameplay reposant uniquement sur de l’exploration, le jeu aurait gagné énormément en immersion si chaque souvenir diffusait des sons spécifiques et localisés (ambiances ou sfx). Même chose pour le visuel (bref, faire évoluer l’ambiance en fonction de la position du joueur).

    Au final j’ai quand même adoré, mais juste un peu frustré qu’ils n’aient pas poussé le concept jusqu’au bout pour l’instant 🙂

  2. admin

    A priori le développement va continuer oui et le résultat sera sans doute plus impressionnant encore. Je suis d’accord avec toi à propos de la localisation du joueur, mais certaines idées sont tout de même déjà implémentées, comme cette île flottante qui nous plonge dans la nuit noire par exemple. J’ai trouvé cela extrêmement bien vu et en effet, j’aimerais bien que plus de choses soient développées dans ce sens.

    Robert Yang m’a confié sur Twitter qu’il aurait pour sa part préféré qu’une version jouable ne soit pas présentée si tôt. C’est vrai que c’est dommage de donner à jouer un jeu qui va encore beaucoup évoluer, mais d’un autre côté, c’est un excellent moyen d’avoir des retours et de l’améliorer en conséquence. Il faut juste ne pas quitter ce projet des yeux maintenant.

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