RollyPol Stuck on Clay Island

RollyPol Stuck on Clay Island (Windows)
Pein Productions

J’ouvre le jeu.

Une espèce de poulpe volant en plastique rouge me tourne le dos. En tâtonnant, j’essaye de trouver les commandes du jeu. Haut pour avancer oui…Droite et Gauche pour tourner, d’accord. Je m’attends naïvement à ce que Bas me permette de reculer, mais voilà que la caméra s’affole et se met à tourner à 360° à grande vitesse au point de me donner la nausée. Non. Pas Bas. Pris par surprise, je tombe du promontoire sur lequel j’étais apparu. Et c’est en essayant d’y retourner que je réalise qu’il me manque quelque chose : sans saut, je n’irais pas très loin. La barre espace peut-être ? Oui ! C’est ça. Ha non…ha si…ha non…ha si…Dans RollyPol Stuck on Clay Island, le saut marche une fois sur deux. Parfois, le poulpe volant en plastique rouge saute. Parfois, il se contente de se mettre en boule en une longue et embarrassante animation qui permet d’apercevoir ses yeux bleus et vitreux. Eh ben c’est pas gagné.

Il me faut cinq bonnes minutes pour regagner mon promontoire. C’est que les flèches directionnelles ne fonctionnent plus durant l’animation du saut, et qu’il faut donc prendre de la vitesse avant de bondir. Mais il ne faut pas bondir trop tard non plus, car le moindre relief dans le décor bloquerait le saut. Ajoutez à ça l’impossibilité de reculer et la sensibilité extrême des touches droites et gauches et vous obtiendrez une difficulté qui s’apparente à une partie de Super Meat Boy avec trois grammes dans le sang.

Mais je finis par y arriver. Je suis sur le promontoire. À côté du panneau. Celui sans doute qui aurait dû me livrer les instructions que j’ai trouvées par moi même. Mais il reste désespérément muet, et, par un jeu de caméra, finit par me cacher la vue ce qui me fait retourner à la case départ.

Je remonte sur le promontoire. Cette fois déterminé à sauter sur la colline suivante pour collecter l’étrange boule bleue que j’y distingue. Mais sans raison apparente, voilà que le poulpe volant en plastique rouge s’envole dans les airs et retombe lourdement au sol.

Je remonte sur le promontoire. J’atteins par je ne sais quel miracle la colline, mais, tentant de traverser son pont de bois, j’oublie l’étrange fonction de la touche bas et retombe au niveau de la mer.

Je remonte sur le promontoire. J’atteins par je ne sais quel miracle la colline. Je traverse doucement le pont de bois, et découvre que le poulpe volant en plastique rouge s’anime sans mon intervention. Le voilà qui lève un bras pour me saluer. Le voilà qui, maître du suspense, écarte lentement les bras, semble s’asseoir sur le sol, pivote à 90° se remet à flotter dans les airs, et conclut le tout par une pirouette. Je n’ai aucune idée de ce qui vient de se passer. Je suis tombé du pont.

Je remonte sur le promontoire. J’atteins par je ne sais quel miracle la colline. Je traverse doucement le pont de bois et arrive enfin devant l’objet de ma curiosité. C’est une boule de plastique bleue, avec une paire de bras minuscule, comme enfoncée dans le sol. Elle n’a rien à me dire, nulle quête à me donner, rien pour me récompenser des vingt minutes que je viens de passer à tenter de la rejoindre. Elle se contente de me fixer avec son air colérique, comme si je n’avais rien à faire ici, comme si je dérangeais.

Puisque c’est comme ça, je m’en vais. Un levier m’attend au loin, en haut de la colline suivante. Peut-être la fin de ce calvaire ? Peut-être un début d’explication ? J’atteins par je ne sais quel miracle la seconde colline, je traverse doucement le second pont de bois, et me voici devant le levier.

Je saute dessus, je tourne autour, je tente de le pousser, Mais rien n’y fait. Le monde autour de moi reste désespérément vide et silencieux. Les ésotériques variables placées au centre de mon écran depuis le début de la partie restent désespérément sur 0. Tous mes efforts étaient vains. Je suis au sommet de la dernière colline de RollyPol Stuck on Clay Island et je n’ai rien accompli. Fiévreux, je jette un œil sur la page d’instruction du jeu dans l’espoir d’une explication et eurêka, découvre que la touche P me permet de frapper. Voilà ce qui pourra actionner ce levier !

Est-ce la peine de le dire ? « P » n’a rien fait non plus.

Découragé, je songe à m’arrêter ici, mais je me ravise : il reste une dernière chance. Je sais, au fond de moi, que RollyPol Stuck on Clay Island a encore quelque chose à m’offrir, une sorte de bouquet final, quelque chose qu’il ne peut PAS rater, ou plutôt, qu’il ne peut pas ne pas rater correctement. Je quitte la colline. Je me dirige vers l’horizon. Je marche jusqu’à ce que hideuse texture de pelouse se dérobe sous mes pieds. Je commence à chuter.
Perdu entre le ciel et le gris, je vois rapidement l’île s’éloigner, je vois le poulpe volant en plastique rouge tressauter, de plus en plus vite, de plus en plus haut, de plus en plus fort. Déterminé à aller jusqu’au bous, j’enfonce la touche bas, ajoutant une dimension circulaire à cette chute infinie. Mon cerveau pleure, mes yeux saignent, mon estomac me somme d’arrêter…

C’était un bottomless pit plutôt réussi.
Si vous m’avez lu jusque là, vous devriez avoir compris : RollyPol Stuck on Clay Island est atroce, dans ses graphismes, dans son gameplay jusqu’à dans son interface. Il n’a absolument rien pour lui, ou pour être plus exact tout contre lui. Il est certes présenté comme incomplet, une version beta, mais rien ne semble expliquer la volonté de son auteur de dévoiler au monde un proto pareil. Je ne crois pas avoir déjà joué à quelque chose d’aussi fade et mauvais de toute ma vie de joueur et devinez quoi ?

J’ai adoré ça.

Sans moquerie, RollyPol Stuck on Clay Island est une expérience unique qui, volontairement ou non, a le pouvoir de remettre en question toutes vos certitudes de joueur. Rien ne se passe comme espéré. Rien ne vous familiarise au gameplay. Rien ne vous récompense de vos efforts. Et rien pourtant ne laisse pressentir la moindre ironie. RollyPol Stuck on Clay Island est le fruit d’une envie sincère de faire du jeu vidéo, le témoin d’un apprentissage sans doute laborieux, et peut-être, qui sait, l’origine insoupçonnable d’une œuvre brillante.

Je suivrais pour ma part son développement avec attention.