Rinse & Repeat (Windows, Mac, Linux)
Robert Yang
Lundi, 13h59, le cours de Pain Aerobics va se terminer et Quentin ne devrait pas tarder à rejoindre les douches collectives. En vrai, je ne connais pas son nom, je l’appelle Quentin parce qu’il a un beau Q. Je l’ai rencontré lundi dernier, et je n’ai pas raté un seul des cours auxquels il participe depuis, enfin, une seule fin de ses cours. Je me demande combien de temps il va lui falloir pour réaliser que je n’y participe même pas.
Je l’attends là, sous la douche, et il vient toujours s’installer à celle d’à côté. Chacune de ses arrivées me fait l’effet d’une scène de fin d’un film d’action des années 80, quand le héros, lunettes de soleil vissées sur la tête, avance vers la caméra en tournant le dos à une explosion. L’explosion, elle est dans ma tête, j’entends même la musique, lascive, suggestive. Quentin McClane vient de sauver le monde, et maintenant, il a juste envie d’une bonne douche et d’une bonne baise. Je suis là, Quentin, je suis là.
Il m’appelle son « dude », son « bro », son «pal ». Il y a quelque chose entre nous. Mais quoi ? C’est ce que j’aimerais bien finir par comprendre. Pour l’instant, il y a une éponge, entre ma main et ses omoplates. Ça a commencé comme ça, naturellement. Il m’a demandé de lui frotter le dos qu’il ne pouvait pas atteindre, et moi, sans dire un mot, j’ai frotté. J’ai frotté avec plus d’application que j’en mets à la masturbation. J’ai frotté comme si ma vie en dépendait, trop intimidé pour avoir la moindre érection. Et puis c’est devenu une sorte de rituel. Je suis revenu le lendemain, le surlendemain. Peu à peu j’ai gagné sa confiance. Il m’a demandé de frotter ailleurs, ses pectoraux, ses abdominaux, et je ne lui ai pas fait remarquer que eux, il pouvait les atteindre.
Je ne sais pas ce qu’il attend de moi, mais moi, je sais ce que j’attends de lui, et je le frotterais des jours durant pour l’obtenir s’il le faut. Quand j’atteins ses aisselles, les douches se changent en quart d’heure américain. La boule à facette fait naître des constellations sur les carreaux, les corps se resserrent, et moi, j’attends, éponge à la main, que mes mouvements circulaires prennent le tournant espéré. Mais cette fois encore, Quentin se défile. Attend-t-il que je fasse le premier pas ? Il a déjà fait tant de chemin…mais je n’ose pas…et si ce n’était que de la franche camaraderie hétérosexuelle ? Pire : et si ce n’était qu’une blague, un autre de ces tours destiné à m’humilier publiquement ? Et si c’était un rêve, un phantasme ? Je ne peux pas prendre le risque de tout gâcher, de perdre ce que j’ai déjà obtenu. Je réessayerais demain. Je frotterai encore mieux, encore plus fort, j’épongerai toute sa sueur, je raclerai toutes ses peaux mortes, et alors, peut-être que cette fois, cette fois enfin, Quentin s’ouvrira à moi. Je suis désormais seul dans les douches. Le cours de Gun Aerobics commence dans 32 heures et se termine dans 33. Je serai patient.
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