Alight (in dreams)
Twofoldsecret

 

L’interprétation des rêves est une science très abstraite, si bien que le terme même de science peut sembler usurpé. Nombreux sont ceux qui s’y sont essayé, Freud, l’Eglise, Biba…sans jamais parvenir à trouver de formule universelle. Avec les jeux, c’est la même chose. Quel que soit le message originel de l’auteur, on ne pourra jamais que l’interpréter…c’est pire encore quand ces jeux traitent de rêve, comme c’est le cas pour Alight…dans ce cas, peut-être faut-il s’abstenir d’essayer.

 

Alight est un jeu très surprenant, si bien que je me demande bien par quel bout commencer. C’est d’un côté un excellent jeu de plate-formes/explorations, aux mécanismes parfaitement huilé, c’est d’autre part un petit bijou de storytelling qui sait utiliser le gameplay pour accompagner au mieux sa narration, et c’est aussi un témoignage poignant que l’on peut supposer en grande partie autobiographique. Tiens, voilà que mine de rien trois parties se sont dessinées d’elles-même.

 

Commençons donc par le gameplay : dans un décor éclaté, quelque part au creux d’un ciel de lit, un homme se voit doté de deux grandes ailes blanches qui lui permettent évidemment de voler. Pas question pour autant d’aller traverser un océan, l’homme doit fréquemment se poser pour reposer ses ailes : un saut, deux battements, et voilà qu’il doit à nouveau mettre le pied à terre. En résulte un gameplay de platformer, mais en plus léger, le personnage peut couvrir de plus longues distances, atteindre des plate-formes élevés ou encore se laisser planer en descente. Des courants ascendants et des vols d’oiseaux permettent de s’affranchir encore un peu plus de la gravité.

Généralement, l’objectif est de partir d’un point A pour se rendre à un point B, ce sans tomber dans les limbes du ciel (nimbes ?). Mais c’est en réalité un peu plus riche que cela : chaque niveau est composé de trois étapes. La première consiste à se rendre vers les piédestal sur lesquels reposent trois artefacts, ce dans un ciel dégagé et bienveillant. C’est lors de celle ci que s’opère la narration. La deuxième étape est le revers de la première, il s’agit à présent de revenir à son point de départ, mais cette fois dans un ciel peuplé de nuages noirs mortels et de corbeaux agressifs. Là, la chute n’est plus la seule condition de défaite. Enfin, la troisième étape, semblable à la première, consiste cette fois à gagner la porte de sortie.

Je m’attarde encore un peu sur la deuxième étape. Pour traverser celle-ci, le joueur dispose d’un artefact qu’il aura choisi au préalable : la plume, la bougie, et le réveil. Chacun d’entre eux altère le gameplay à sa façon, créant ainsi trois modes de jeux, à difficulté variable. La plume confère un bonus de vol, la bougie éloigne les corbeaux, quant au réveil…élément négatif par excellence quand on évolue dans un rêve : il ne faut qu’instaurer un temps limité, compliquant ainsi les choses.

Déjà, Alight a tout ce qu’il faut pour faire un bon jeu.

 

Mais Alight raconte aussi une histoire. Difficile à cerner au premier abord puisque c’est l’histoire d’un rêve, ce qui ne l’empêche pas d’être extrêmement bien racontée. Comme toutes les belles histoires un peu tristes, elle semblera un peu niaiseuse au démarrage, mais une fois percées nos carapaces de protection, il sera facile de s’y plonger complètement et qui plus est, d’apprécier. Principalement, la narration s’opère à travers les colonnes de fumées : lorsqu’on les effleure, les mots apparaissent à l’écran. Je m’abstiendrais de révéler le contenu de cette narration pour deux raisons : la première, c’est que c’est spoiler, la deuxième, c’est que ce n’aurait pas vraiment de sens. En effet, l’histoire que Twofoldsecret nous raconte n’acquiert son épaisseur qu’en étroite collaboration avec le décor et le gameplay. De nombreux procédés sont mis en œuvre : il y a les effets de cadrage, plus ou moins resserrés selon l’intensité du message, il y a les ascensions, il y a les chutes, il y a les apnées, ces longs passages sans la moindre plate-formes, il y a au contraire les passages faciles, terre à terre, triviaux…Au fond, Alight aurait pu se priver de mots. Nous aurions certes manqué l’histoire, mais nous en aurions ressenti les mêmes émotions. J’envierais presque le non-anglophile qui aurait la chance de jouer sans comprendre.

 

Je l’envierais, mais pas trop quand même, parce que cette histoire n’a rien d’anodin, c’est une histoire lourde, celle de l’auteur comme tout le laisse croire. Chaque niveau correspond à un épisode important de sa vie : l’enfance, auprès de sa mère, la visite au futuroscope, les études à l’autre bout du pays…Ce n’est pas tout de suite évident, mais on finit par se rendre compte que le décor change très symboliquement d’un niveau à l’autre.

La difficulté devient alors de distinguer ce qui relève du rêve et ce qui relève de la réalité, ce qui relève de l’autobio et ce qui relève de la fiction. Le fait que le jeu présente de multiples fin, par exemple, l’éloigne complètement de l’autobio, car comment pourrait-elle avoir plusieurs alternative ? La linéarité en revanche l’en rapproche. C’est tout aussi compliqué pour le rêve : pourquoi la scène de fin, au réveil, semble-t-elle moins réaliste que le rêve lui-même ? Cette scène, d’ailleurs, que vous découvrirez sans doute, semble donner une explications aux volutes de fumée narratives. Les volutes de fumées pourraient bien être les traces de réalité, d’éveil, glissées dans le rêve. Étant donné qu’elles sont aussi le véhicule de l’écrit autobiographique on pourrait tirer les conclusions suivantes :

Éveil = Narration = Autobiographie.

Rêve = Gameplay = Fiction.

 

Je ne puis pas être plus clair sans lâcher de gros spoilers, mais bon, il est tard aussi, alors peut-être que je dis n’importe quoi. Je ferais d’ailleurs mieux de me coucher, demain c’est Ludum Dare.