Cold War Hangover (Windows)
Nicolaï Troshinsky
Attention : le jeu nécessitera 4 bons Go de Ram pour tourner normalement
Avant toute chose, Cold War Hangover vous demandera un petit effort d’imagination.
Imaginez donc une grand pièce vide et carrelée. Dans cette pièce, imaginez une piscine, vide aussi, dans laquelle se trouvent alignés cinq boutons géants. Imaginez que ces boutons soient reliés à un ordinateur, lui-même relié à un projecteur et à une puissante sono. Imaginez enfin cinq personnes au fond de la piscine actionner les boutons avec leur pieds pendant qu’une foule silencieuse mais enthousiaste les observe.
De la science fiction ? Pas forcement. C’est le cadre dans lequel Cold War Hangover pourrait être présenté le 17 Février s’il remporte la 5 Buttons Game Design Competition organisée par 02L> Outside Standing Level en partenariat avec l’Experimental Gameplay Project, et le cadre pour lequel il a été conçu.
Fort heureusement pour nous qui ne vivons pas à Berlin et qui ne disposons pas de piscine ainsi équipée, Cold War Hangover est également jouable seul sur son clavier avec les touches 1,2,3,4,5, et s’avère, même dans ces conditions, une grande réussite.
Dans ce jeu, nous serons amené à faire circuler une mine sous-marine de bouteille en bouteille afin de faire exploser sous-marins, paquebots et hélicoptères avant que ceux là ne détruisent eux-même les bouteilles. Ça a l’air simple comme ça, mais cela ne l’est pas, mais en fait si, mais en fait non. J’explique. Pour faire passer la mine d’une bouteille à l’autre, le joueur devra créer une vague en actionnant l’une après l’autre chacune des bouteilles, soit : 1,2,3,4,5 pour aller à droite, 1,2,3,4,5 pour aller à gauche. Il y a un rythme à prendre, mais jusqu’à présent c’est facile. Là où cela se complique, c’est qu’il faudra parfois aussi élever la mine dans les airs, pour atteindre un paquebot ou un hélico. Il s’agira alors de créer des remous en provenance de la bouteille concernée. 3, 2/4, 1/5 si la mine se trouve dans la troisième bouteille par exemple. Évidemment, ce procédé ne peut pas fonctionner si la mine se trouve dans une des extrémités, il faudra donc créer cette fois une vague dans sa direction : 1,2,3,4,5 pour élever une mine dans la cinquième bouteille. Maintenant, le tout se complique encore quand plusieurs mines sont à diriger en même temps, et qu’elles exploseront fatalement en entrant en contact.
A partir de là, le joueur un peu trop casual pourra décrocher, pourtant, tout ceci est assez simple et il ne s’agit que d’un coup à prendre, d’un gameplay totalement novateur à adopter. Là où réside vraiment la difficulté, c’est que je le rappelle, ce jeu requiert normalement la coordination de cinq joueurs dans une piscine. Estimez-vous donc heureux.
En jouant à Cold War Hangover, il est difficile de ne pas penser à un précédent jeu de Troshinsky : Loop Raccord. Comme dans ce dernier en effet, il s’agit de coordonner des mouvements, de créer de la fluidité, cette fois plus prosaïquement représentée par un fluide. Cette idée de raccord, de fluidité semble hanter l’œuvre entière de Troshinsky puisqu’on la retrouvera également, sous des formes très différentes dans Raccord Sniper, A Game for Two, ou même, dans une moindre mesure, au sein d’Ufo on Tape. Cette fois, il semble que ce sont les holas de supporter dans les stades qui ont inspiré Troshinsky, et il faut bien reconnaître que ces mouvements de foules s’apparentent à des vagues en bouteilles. Mais qu’on me coupe les deux mains s’il n’a pas été également inspiré par Naufrage par les chiffres, jeu de Luigi Finisera présenté dans le documentaire/animation Jeux Pluriels que Troshinsky a lui-même réalisé !
On retrouve aussi dans Cold War Hangover cette affection pour l’image, principalement pour cette image recyclée qui n’est pas issue du jeu vidéo. Comme dans la plupart de ses jeux précédents, les graphismes de Cold War Hangover proviennent de la photographie. Ici, cinq bouteilles immobiles au sein desquelles se déroulent les animations. Mais si pour certains la photographie pourrait passer pour un cache-misère, un moyen de combler une lacune graphique, ce n’est pas le cas pour Troshinsky. D’abord parce que Troshinsky est un talentueux graphiste, comme en témoignent les diverses illustrations visibles sur son site, mais surtout, parce que celui-ci n’emploie pas la photographie à la légère : il l’interroge, la confronte au jeu vidéo, au numérique il cherche à en exploiter la matière. Ainsi, tout comme Low Bitrate Fighters s’intéressait aux mauvais encodages vidéos, Cold War Hangover se penche sur la photographie basse résolution. Chaque fois qu’une bouteille se verra heurter par un sous-marin, un paquebot, un hélicoptère, sa résolution se verra abaissée, jusqu’à ce que trop pixelisée pour ressembler encore à une bouteille, elle ne finisse par casser.
L’effet est immédiat : le joueur est véritablement puni par ses échecs, il ne s’agit pas d’une punition métaphorique, comme la perte d’une vie ou la baisse d’un score, ses sens, en l’occurrence sa vue, sont directement attaqués, cette affreuse résolution est une offense pour l’œil. Peu importe que le joueur redouble alors d’habileté ou jette l’éponge, le message est passé, et brillamment.
Bon ou mauvais jeu, là n’est plus la question. Cold War Hangover est tout simplement un chef d’œuvre jusqu’à dans ses moindres détails, un expérience interactive magistrale qui n’a rien laissée au hasard et qui mériterait amplement d’être joué au fond d’une piscine. C’est également un impressionnant condensé de ce qui semble animer Nicolaï Troshinsky, idéal pour découvrir cet
auteur, idéal pour continuer à l’aduler.
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