Lake City Rumble II (Browser)
Christine Love

 

Devant la statue du bouddha, les deux combattants se faisaient face. Jamais ils n’avaient disputé un match aussi important. L’enjeu? Le titre du meilleur lutteur des rues du monde entier. A gauche, Ken, l’américain, nouait autour de sa taille sa ceinture noire de karaté shotokan. A droite, Sagat, l’ex « roi des lutteurs des rues » contemplait son ennemi avec dédain. Lui n’avait cure de regagner le titre de champion, il était venu pour des raisons strictement personnelle. Ken était le meilleur ami de Ryu, celui qui jadis lui avait laissé cette cicatrice sur le torse, et Sagat avait alors décidé de détruire tout ce à quoi le japonais tenait. Ce serait un combat à mort.

 

 

Sagat débuta alors les hostilités en projetant sur son adversaire une balle du tigre, la technique qu’il avait mis au point pour parer la boule de feu de Ryu. Ce combat était l’occasion de tester pour la première fois son efficacité. Ken, qui s’attendait à une telle ouverture impulsive se baissa, et esquiva le projectile. Quand Sagat tenta une nouvelle fois sa balle du tigre, Ken cette fois s’éleva dans les airs pour asséner au thaïlandais un puissant coup de poing au visage, suivi d’un redoutable uppercut. Le premier sang était versé. Sagat, encore étourdi par cette riposte soudaine ne put empêcher Ken de le saisir par le short pour le projeter en arrière d’un mouvement de jambe. Grisé par sa victoire Ken voulu enchaîner par un Ha-do-ken bien placé, mais Sagat avait repris ses esprits. Cette onde d’énergie, semblable à celle de Ryu fit grandir sa colère, et après l’avoir repoussée d’un mouvement de coude, Sagat donna une nouvelle chance à sa balle du tigre. S’ensuivit alors un déluge de flux d’énergie, les balles rondes et bien formées du karatéka venaient contrer les demi-lunes du boxeur thaï. Balle haute, balle basse, balle haute, balle basse…Le statu quo s’éternisait, et il aurait pu durer bien longtemps encore si Sagat ne décida pas le premier de briser ce cercle. Un mouvement maladroit, qui lui valu de recevoir un Ha-do-Ken dans l’entrejambe, mais il eu tout juste le temps de renvoyer une dernière balle du tigre qui frappa Ken en plein visage. Son beau visage, celui qui lui valait tant de succès auprès des femmes. Défiguré, le karatéka explosa de rage, il allait faire mordre la poussière à ce grand chauve. Alors que Sagat initiait son dévastateur uppercut du tigre, Ken le contra par un coup de pied sauté, qu’il fit suivre de deux Ha-do-ken. Sagat était au plus mal. Sa vue se troublait, il avait dans la bouche le goût métallique de son sang épais. Son cerveau ne contrôlait plus rien, il n’était plus qu’un paquet de nerfs prêt à tout pour vaincre son adversaire, mais ses réflexes n’étaient plus aussi rapides, il était condamné. Alors qu’il s’avançait, vascillant, du beau blond, celui-ci lui fit goûter de son coup de poing du dragon, le terrible Sho-ryu-ken dont l’origine remonte à des temps immémoriaux. C’est une technique utilisée et améliorée depuis des siècles par l’école Shotokan que Sagat reçu de plein fouet, il ressenti dans tout son corps la puissance du dragon qui le projeta vers le sol. Ses derniers mots furent : « UHAA Uhaa uhaa ».

 

L’effet procuré par la lecture de ce commentaire est bien différent de celui procuré par la première manche de cette vidéo de Street Fighter II dont il est inspiré. Il l’est encore plus de l’émotion ressentie par les joueurs aux commandes de ces deux personnages. Si le texte peut apporter plus de profondeur, d’émotion, le jeu apporte lui une bien plus grande excitation. Concilier ces deux expériences était peut-être le but de Christine Love quand elle a créé Lake City Rumble II.

 

Ce jeu est la suite d’un jeu d’arcade inconnu, Lake City Rumble, que je soupçonne fortement de n’avoir jamais existé. Il faut reconnaître que dans les jeux de combat, les « 2 » ont toujours eu bien plus d’impact que les « 1 », en témoignent notamment Street Fighter II ou Mortal Kombat II, pourquoi dès lors ne pas commencer par là ?

 

Lake City Rumble II présente tous les aspects d’un jeu de combat d’arcade. Le joueur doit commencer par insérer une pièce avant d’arriver sur un écran de choix de personnages stérotypés. On y retrouve le beau blond torse nu, le boxer professionnel, le black à afro, le karatéka japonais, le mystérieux personnage chapeauté, et bien évidemment, la chinoise, adepte du kung fu. Plusieurs détails cependant mettent déjà la puce à l’oreille. Le premier d’entre eux est cette longue introduction qui narre comment le joueur s’est retrouvé face à cette borne d’arcade d’une salle sombre, et comment celle ci l’a mystérieusement attiré. Le second suit le choix du personnage. Le joueur se voit alors donné des clefs sur leurs background respectifs, il apprendra par exemple comment le père de Xiu-Li périt sous les décombres de sa maison que le mystérieux Qaisar avait truffé d’explosif, et comment Xiu-Li décida alors de prendre sa revanche, et de tout faire pour tuer Qaisar.

 

S’ensuit alors le premier combat, précédé comme il est de coutume par un dialogue entre les adversaires, mais plutôt que le « Tu vas mordre la poussière » ou le « Tu n’as aucune chance contre moi » attendus, se déroule un véritable dialogue dans lequel les personnages expriment les véritables raisons de leur combat. On comprend dès lors que Lake City Rumble II n’aura rien d’un jeu de combat traditionnel.

 

En effet, le combat se déroule en réalité au tour par tour, le joueur doit choisir de bloquer, frapper du poing, du pied, ou avoir recours à ses attaques spéciales pour terrasser l’adversaire, il doit aussi veiller à ses barres de vie et de « spécial ». Le jeu de réflexe se transforme en stratégie, un pierre feuille ciseaux évolué que Christine Love nous narre avec ses mots : « Xiu-Li attrape Gambier, et lui fait perdre l’équilibre! Xiu-Li lui assène un coup de pied en pleine tête! Puis un autre! Puis un autre! 4 hits combo! »

 

Ce système de combat surprend, mais il est loin d’être original, c’est en effet celui utilisé dans la plupart des RPG au tour par tour, ici retranscrit avec l’ambiance d’un jeu de baston. Le jeu s’avère amusant, mais pas tant, il a pourtant quelque chose de profondément attirant, mais ce quelque chose réside bien loin du gameplay.

 

Ce qui rend finalement l’expérience de Lake City Rumble II si intense, ce n’est pas ses combats, c’est ce qui les enrobe, les dialogues entre les personnages avant et après l’action. Chacun des personnages à une histoire à lui, et le jeu de combat se transforme en storytelling. Les personnages qui apparaissaient comme de vulgaires stéréotypes de jeu de baston se révèlent avoir une vraie humanité, des forces, des faiblesses, des sentiments, une histoire…Les dialogues parfois atteignent une réelle profondeur :

 

Gambier -Comme je le pensais, je ne fais pas le poids.

Xiu-Li-Ce n’est pas ce que tu disais!

G-Jeune fille, laisse-moi te confier quelque chose. J’ai donné tout ce que j’avais, mais je savais que je n’avais aucune chance. Tu vois, quand nous, les hommes, combattons, nous le faisons pour de stupides raisons. Pour prouver notre valeur, pour le plaisir, finalement sans aucune raison. Mais quand une femme combat…c’est pour un but précis.

X-…

G-Quelles chances un homme comme moi peut-il avoir face à ça? Continue. Tu as une mission importante à accomplir

X-Peut-être t’avais-je mal jugé…

 

On est bien loin du « Ma force est largement plus grande que la tienne » ou du « Tu te débrouilles bien, mais tu as besoin de davantage d’entrainement pour me battre ».

 

Christine Love a ainsi réussi le pari de transformer un jeu de combat en fiction interactive, les alternatives du joueur étant la victoire ou la défaire. Pour compenser ce manque d’interactivité, elle ne nous conte pas une, mais six histoires bien distinctes, dans laquelle la violence tient toujours le premier rôle. A noter que comme dans tout bon jeu de combat, il y a des personnages à débloquer, ouvrant ainsi la porte à de nouvelles histoires. Christine Love nous prouve une fois encore qu’elle est sans doute l’une des meilleures conteuses de la scène du jeu vidéo actuelle. Les mains ligotées dans le dos, un bâillon dans la bouche et un bandeau sur les yeux, elle parviendra toujours à vous raconter quelque chose.