OUJEDICO: Le Voidscape

Abstract ritual« -Tu es perdu ?

-Non.

-Tu cherches un truc ?

-Non

-Mais tu fais quoi alors ?

-Rien.

-Ha. Et c’est bien ?

-On verra. »

 

Le voidscape (de « void », vide et « scape », paysage) aussi parfois appelé hipster shit (de « hipster », personne qui s’intéresse à une culture qui m’est totalement étrangère, que je ne comprends pas et qualifie de prétentieuse pour éviter de remettre en question mes propres acquis» et « shit », caca) est un dérivé du First Person Shooter qui remplace le tir par…rien.

 

Protéiforme (du nom d’un de ses principaux représentants, Proteus), le voidscape demeure reconnaissable par sa vue à la première personne, son gameplay exclusivement basé sur l’exploration, ses interactions limitées (voire inexistantes) et cette manie qu’il a de s’asseoir sur la frontière invisible qui définit ce qui est et ce qui n’est pas un jeu vidéo. Oui, le voidscape n’aime pas qu’on range les jeux dans des cases, et c’est donc tout ironiquement qu’il est devenu un sous-genre à part entière. Il faut remercier pour cela Todd Luke qui employa ce mot pour la première fois pour qualifier son jeu Cerulean Orb, Paul Clarissou, qui en fit le titre de Voidscape-0, et le journaliste Chris Priestman, enfin, qui fit le rapprochement et entérina le terme une fois pour toutes.

 

Ce terme oxymorique prête cependant à confusion. Contrairement à ce qu’il semble indiquer, les paysages des voidscapes sont loin d’être vides : ce sont des décors minutieusement sculptés en 3D, à la manière de maquettes, de dioramas. Le vide est plutôt celui de l’humain, de l’interaction : il n’y a personne à draguer, il n’y a plus rien à faire, et dans ce néant virtuel, la moindre découverte prend des allures de trésor.

 

Le voidscape peut-être divisé en deux catégories : ceux qui ont les pieds sur terre, et qu’Oscar Barda a qualifiés de «  justemarchistes », et, comme le dirait si bien un grand homme de la critique vidéoludique, les autres. Ces derniers reprennent ces idées de vide et d’exploration pour les appliquer de manière plus singulière. Red Call et Here And There Along The Echo ouvrent par exemple la voie au voidscape sonore, quand Even the Stars de Paul Clarissou nous propose d’explorer l’espace qui, composé comme chacun sait de 99 % de vide, constitue la meilleure métaphore du voidscape qui soit. En cela, Even the Stars pourrait bien être le premier méta-voidscape.

 

Quand les jeux vidéo s’encombrent bien souvent de couloirs, concrets ou narratifs, le voidscape les abolit pour renouer avec le thème de l’errance. Pas l’errance de Homère ou Cervantes ponctuée de périls et d’accomplissements et à laquelle correspondraient mieux les mondes ouverts de Minecraft ou GTA, mais l’errance des romantiques allemands, celle qui unit l’ironie et la vision tragique. Il est un voyage intérieur, existentialiste, sans but, qui nous en apprendra plus sur nous-mêmes que sur le monde que nous visitons.

 

Voidscapes notables:

Abstract ritualAbstract ritual

100 free assetsjeux_2013_100 free qssets

Wibler ParkWibler park

Fishbonejeux_2014_fishbone

Nautnaut

Even the starsjeux_2014_even the stars

The absence of Isthe absence of is

Endless Expressendless express

Souvenirjeux_desengorgement_souvenir

TimeframeTIMEframe

Ceci est le troisième article de l’OUJEDICO, rubrique s’intéressant à des sous-sous-genres de jeux vidéo, reconnus ou inventés. Son existence a été rendue possible grâce aux dons des lecteurs sur mon Tipeee. S’il vous a plu et que vous désirez en lire d’autres (ou que vous souhaitez simplement soutenir mon travail) vous pouvez donner 1€/mois à l’Oujevipo.

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8 Comments

  1. Itooh

    Parfaite définition de « hipster » !^^ Avec l’utilisation du « prétentieux » qui signifie bien trop souvent « Je ne comprends pas, donc il n’y a rien à comprendre ».

    Bon terme à connaître en tout cas ! J’ai beau apprécier le genre, je ne connaissais pas le mot. Plus joli que « simulateur de marche » ou « boîte noire ».
    Et il y a plus d’un jeu qu’il va falloir que j’essaye, dans cette liste !

  2. Cette entrée achève de me convaincre que cet Oujedico est une bonne idée. Il a la richesse de l’historique du terme couplé à sa définition pure, accompagné d’une bonne dose d’exemples sourcés.
    Merci Pierrec !

  3. L’oujedico, c’est cool! (faut penser à le dire, quand même, de temps en temps)

  4. Armel

    c’est curieux de se rendre compte, grâce à un oujedico, qu’on a de l’attrait pour un genre défini sans en être conscient : j’ai déjà joué (grâce aux articles de l’oujevipo) à une bonne moitié des jeux référencés. Moi, voidscapemaniac ? content de l’apprendre, merci Docteur Pierrec, combien je vous dois ?

  5. Encore un excellent article de découverte, très bonne idée que ce OUJEDICO ! 🙂

    Personnellement j’en était resté à Protéus, mais je vais de ce pas me perdre dans les autres titres présentés ici 🙂

  6. C’est une très bonne idée cet OUJEDICO , très bon travail , merci pour l’article.

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