more postcardsMore postcards in real color (Browser, Windows)
Lee Williams

 

On définit généralement le jeu vidéo par son interaction. L’écran de veille que l’absence d’interaction déclenche et que la moindre interaction brise devrait alors en être l’antithèse, le meilleur exemple de ce que n’est pas un jeu vidéo. Pourtant, dans les années 90, nous sommes nombreux à avoir joué avec des écrans de veille : joué à trouver la sortie du labyrinthe, joué à se faire peur, joué à fendre l’espace en évitant les étoiles…J’ai personnellement le souvenir de m’être plusieurs fois glissé avec un ami dans la bibliothèque de l’école pour « jouer » à voir le grille-pain traverser l’aquarium à l’écran, jusqu’au jour où l’un de nous bouge accidentellement la souris et que nous soyons tous les deux persuadés (et horrifiés) d’avoir cassé le jeu. Est-ce qu’il ne suffit pas que quelqu’un voie un jeu vidéo dans une expérience virtuelle pour de facto pouvoir la considérer telle quelle ?

 

La screensaverjam organisée sur Itch.io a pour but de renouer avec cette tradition quelque peu perdue de l’écran de veille, de rendre hommage à ces expériences virtuelles contemplatives et parfois donc, ludiques. 122 créateurs se sont mobilisés pour l’occasion, créant chacun un ou plusieurs écrans de veille. Je suis aujourd’hui bien trop impatient pour avoir pu tous les essayer, mais l’un d’entre eux m’a tapé dans l’oeil, et il s’agit évidement de More postcards in real color.

 

En 1978, Georges Perec se prêtait dans la revue Le Fou Parle à un nouvel exercice d’écriture : celui pénible et rébarbatif des cartes postales. Vous êtes-vous déjà usé le cerveau à écrire une douzaine de cartes postales lors de vacances à l’étranger ? Perec en a écrit 243, vraisemblablement (et volontairement) aussi peu inspirées que les vôtres. Vous pouvez retrouver cette œuvre intitulée 143 cartes postales en couleurs véritables dans le recueil l’Infra-Ordinaire ou sur ce blog qui a reproduit les 209 premières . More postcards in real color vise comme son nom l’indique à dépasser ce chiffre de 243, et de beaucoup puisqu’il utilise un générateur de texte de cartes postales, outil que Perec aurait sans doute apprécié.

 

Les cartes postales de Lee Williams sont cependant très différentes de celles de Perec. Parce qu’elles sont en anglais, certes, mais surtout parce qu’elles sont écrites PAR un anglais. Quand Perec voyageait à travers le monde à sa propre époque, Lee Williams se focalise sur la Côte d’Azur, la « French Riviera » des années 60, où les anglais aimaient tant faire promenade. S’il aurait pu être intéressant de voir l’exercice Perecquien transposé à l’ère des vols low-costs et des AirBbB, l’exotisme d’un autre temps et d’un autre pays que lui apporte Lee Williams me rend personnellement l’expérience plus troublante, et je me délecte aujourd’hui de recevoir sur mon écran des cartes postales d’un Britannique m’écrivant, à la manière et à l’époque de mon auteur favori, de là où, enfant, je jouais avec des écrans de veille.