Ergon/Logos

Ergon/Logos (Browser)
Paolo Pedercini

 

« Je suis un héros ». Cette phrase claque sur son fond noir comme une vérité universelle. Sa police large et droite ne laisse planer aucun doute sur la certitude de celui qui la prononce, et on n’oserait le remettre en question, pas plus que Moïse n’osa signaler à Dieu la la légère faute d’accord de son « Je suis celui qui suis ». Je suis un héros, c’est un fait, et c’est bien la moindre des choses quand je joue à un jeu vidéo. Comment pourrais-je supporter n’être que personnage secondaire, figurant, ou pire, antihéros, dans l’histoire que je me tue à écrire ?

 

Je suis un héros de jeu de plateforme, je franchis tous les ravins d’un bond leste. Je n’ai de cesse de collecter des trésors pour attester de ma vaillance. Je saute sur le crâne de monstruosités, et les brise d’un coup de talon. Parfois aussi, je ne fais rien, mais c’est pour mieux me lancer dans l’aventure, car l’aventure ne vient pas à moi, c’est moi qui vais la chercher, avançant toujours de gauche à droite, le sens de la lecture évidemment. Je n’existe que par mes actes, ce sont eux qui me définissent, je suis Ergon.

 

 

Je suis un héros, mais soudain, c’est le doute : et si je n’en étais un? La question me traverse l’esprit l’espace d’une seconde, et déjà je vacille, je glisse, j’abandonne, je me laisse aller à des faiblesses qui ne sont celles d’un héros. Je meurs, ou bien je demeure prostré, ce qui revient à peu près au même : le héros que je suis n’est plus. Alors pour la première fois, je me met à penser, à me parler à l’intérieur de ma tête, je découvre que c’est finalement cette pensée, ce verbe qui me définissent, je suis Logos.

 

Ergon/Logos est un jeu réalisé en Août 2009 pour l’Experimental Gameplay Project au thème « Bare minimum ». Le Strict minimum, Paolo Pedercini l’a ici atteint dans les graphismes, qui ne sont qu’une succession de caractères d’une même police, mais aussi dans l’interaction, qui ne consiste qu’en une série de choix qui peuvent, sans joueur, se résoudre d’eux même.

Il est difficile de définir Ergon/Logos, tout ce que je peux dire, c’est qu’il se trouve quelque part entre la poésie typographique de Mallarmé et le jeu de plateforme, entre le calligramme d’Apollinaire et la fiction interactive. Au final, Ergon/Logos est plus proche d’un poème interactif que du jeu vidéo, mais le jeu vidéo en est le sujet, et Ergon/Logos semble en synthétiser toute l’essence.

 

Ergon/Logos est une quête, d’abord physique, puis mentale. Son objet? Ce sera à vous de le trouver et de le choisir parmi les multiples fins disponibles. Mais méfiez-vous, car son sens peut rapidement vous échapper. C’est peut-être là le but d’Ergon/Logos, celui d’une perte de sens progressive à travers les mots, comme lorsqu’on répète « canard » en boucle jusqu’à n’en plus distinguer ni le bec ni la queue. Perdre pied, se defraie une pra un ses certutides prou se laissserbrecerparcttemsiquelancinte, ne plus chercher à comprendre, abandonner le

logos

comme on a abandonné

l’ergon.

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4 Comments

  1. J’aime le concept, j’aime le traitement. J’aime tout simplement. Encore une belle trouvaille de votre part. Merci à vous!

  2. Woua, ça claque !
    Un joli défi de traduction.

  3. Je crois avoir testé toutes les combinaisons possibles. Ce jeu m’a rendu fou.
    Pour la traduction, j’y ai pensé l’espace d’une seconde, juste le temps de me dire : Oulaaaaaaa

  4. J’y avais joué fin 2009 et je viens de réessayer, c’est toujours une expérience aussi déconcertante. Je ne pense pas que ça soit un très bon jeu, mais le concept est vraiment intéressant.

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